- EXTRAITS DE LA CORRESPONDANCE SUITE (1)-

FRIEDBERG IN HESSE (suite)

- Lettre N° 76 du 26 janvier 1916 : Je vous confirme mes 73 et 75 partis par courrier spécial. Par mon 72 je vous communiquais une note que l'on nous avait lue au sujet de l'interdiction de correspondre. Après, copie de la note, j'ajoutais ceci : " voici la note que l'on nous communique ; je vous la transmet à titre de curiosité et d'information et non pas pour que vous vous apitoyez sur mon sort. Je suis au contraire très heureux que ce soit le camp auquel j'appartiens qui soit choisi, et j'espère bien que le gouvernement français répondra à cela par une suppression totale de correspondre pour ces messieurs en villégiature chez nous. Donc au reçu de la présente, ne m'envoyez plus ni lettres ni paquets. Vous pourrez faire prendre de mes nouvelles par la croix rouge ou bien par Besse. Je vous écrirai encore avant la fermeture."Presque tout le monde a écrit dans ce sens ; or la censure a rendu les lettres pour recommencer, car cela n'a pas sembler leur plaire. J'ai donc ajouté au bas de ce 72 : "La censure m'ayant rendu la présente parce que j'exprimais un désir de réciprocité, j'efface les 3 lignes incriminées". Vous verrez donc si cela arrive ; si oui c'est très drôle. Les boches ont l'air très embêtés de toute cette histoire, car nous nous refusons tous à écrire dans le sens qu'ils nous indiquent ; ceci prouve qu'ils craignent les représailles. Ils nous ont donné une note additionnelle plus modérée par laquelle ils ont l'air de nous faire croire que la mesure sera rapportée ; ils nous prie de l'envoyée en France, mais personne ne le fait. Ils ragent et nous nous amusons ! ces gens ne nous comprendront jamais. Je vous embrasse bien tous.

- Lettre N° 79 du 9 février 1916 : 396e jour. La transmission des correspondances et colis est reprise. continuez donc à m'écrire et m'envoyer des colis comme auparavant et considérez comme nulles mes instructions à ce sujet de mes 75 et 73 Tout bien, santé bonne.

- Lettre N° 80 du 12 février 1916 : Pour les biscuits LU, je crois que pour l'instant 2 boîtes par mois suffiraient et je préviendrai plus tard s'il est nécessaire d'augmenter. Vous pouvez me faire envoyer encore du beurre de Rennes, il est mieux que j'aie une avance , et je vous préviendrai quand il faudra cesser. En général, vous pouvez forcer pour les expéditions pour que j'aie une bonne avance dans le cas où il y aurait une interruption. Envoyez-moi pour Pâques un oeuf de Pâques (en carton par exemple) contenant des bombons assortis, quelque chose d'assez grand pour 8 à 10 personnes de façon à servir de dessert. Le vin arrive très bien et vous pouvez continuer, c'est autorisé. Santé bonne. Je vous embrasse.

- Lettre N° 81 du 16 février 1916 : Reçu votre 117. Reçu colis Potin marqué 5, contenant 1 étui croquettes chocolat, 1 boîte confiture, 1/2 plum-cake, 450 gr pain d'épices, 5 tablettes potage, 1/4 matelote, 250 gr saucisson, 1/4 gigot rôti, 1/4 pieds de mouton, 500 gr haricots. Reçu en tout jusqu'à présent 9 paquets de Stussi de chacun 6 boîtes. Reçu LU 8 ainsi que vos 53, 54, 55 et 56, le tout en parfait état et complet ; je trouve très bien les articles Letellier et vous en remercie ; vous pouvez donc continuer à m'envoyer des produits de cette marque Le colis FP est à mon goût et je vous en remercie. Vous pourriez peut-être me faire envoyer par Dhaine un colis de bananes. Vous pourriez aussi m'envoyer des rôtis de veau ou de porc que vous mettriez dans la graisse dans des boîtes ou des terrines bien emballées. Je préfère le jambon cru fumé je pourrai le faire aux nouilles ou haricots. Le vin rouge est très bien et me fait plaisir. Naturellement il faut débiter mon compte de tout ce que vous achetez et réglez pour moi. Voici l'adresse d'un de mes amis qui vient de SM : Monsieur Ernest Grau, à Noyon Suisse. Dites-lui qu'il me donne de longues nouvelles sur AO et SM et mettez-le au courant sur l'article 56 dont vous parlez dans votre 117,de cette façon il pourra alors me communiquer son avis. Envoyez-moi des cigares s.v.p. Je trouve les merises de l'île très bonnes. Je m'aperçois que cette lettre est loin d'être intéressante ; je ne vous y entretien que de demandes et de mangeaille, mais, que dire ici où nous ne voyons rien ! Il fait un temps épouvantable, toujours de la pluie. Je vous embrasse bien tous.

Joint à cette lettre une photo du Capitaine au milieu d'un groupe d'officiers russes et anglais..

Nota: AO, est le code de la sucursale des EOB de Constantinople, SM celle de Smyrne.
Cette lettre est un exemple des lettres passant par la voie normale de la censure, dans lesquelles on ne peut parler que de banalités et toujours des affaires de la famille et des EOB. ainsi que des commandes de provisions et autres nécessités.

- Lettre N° 83 du 3 mars 1916 : Depuis une dizaine de jours on a organisé des promenades à l'extérieur par groupe de 100, sous la surveillance de 5 ou 6 sentinelles accompagnées de 2 sous officiers ; c'est tout de même plus agréable que de tourner en rond dans la cour et cela nous distrait un peu.

- Lettre N° 84 du 11 mars 1916 : (rappel en partie N° 81) Indiquez-lui (Mr.Grau) le moyen de correspondre par mon chiffre, et dites-lui qu'il m'envoie des lettres dans ces paquets. Dites-lui qu'il m'écrive très longuement sur ce qui c'est passé en Turquie depuis mon départ. J'attends une longue lettre sur l'affaire de Verdun ; sur ce sujet les boches racontent énormément de blagues dans leurs journaux ; ils ont annoncé hier la prise de Vaux, mais ce matin il publie le démenti français, ajoutant à la fin, que l'on connait la valeur de tels communiqués. Les communiqués français sont toujours publiés ici, et c'est par là que nous suivons les opérations. Qui a le fort de Douaumont ? eux ou nous ? Il nous semble que les boches doivent avoir des pertes énormes ; que dit-on de tout cela en France ? Quelle est l'impression ? Bref, le meilleur moyen de me tenir au courant, c'est de m'envoyer des journaux régulièrement. Le vin que vous m'envoyez arrive très bien et on me le laisse passer; vous pouvez donc continuer. La semaine dernière, nous avons très nettement entendu le canon de Verdun. Vous devez bien penser que nous traversons des périodes angoissantes, d'autant plus que nous n'avons que des nouvelles boches, aussi est-ce pour cela que je compte beaucoup sur vos journaux. Depuis que je reçois les biscuits LU on ne m'a ouvert qu'une boîte et on n'a même pas regardé à l'intérieur. Je pense donc que vous pourriez vous servir d'une telle boîte pour me renvoyer les 2 livres que je vous avais expédiés ; mais il faudrait que l'étiquette extérieur ne soit pas déchirée pour que la boîte est l'air neuve ; il faudrait la décollée à l'eau et la remettre ensuite ; vous placeriez les livres dans le fond de la boîte et des biscuits par dessus. Mes paquets me suffisent et je ne manque de rien. Santé bonne. Cette lettre partira probablement après demain par paquet et vous sera transmise par l'obligeance de la famille d'un de mes camarades. (famille Lamothe à Gagny, S et L). La lettre N° 1 que vous aviez écrite à Mattow m'est bien parvenue c'était tout à fait cela et vous aviez bien compris ; cela aurait très bien marché s'il y avait eu lieu. Quelles nouvelles de Turquie ? Que dit Orosdi ? ce courrier spécial avait surtout pour but de vous prier de prévenir mon ami Grau pour qu'il me donne de longs renseignements et pour que j'établisse la communication avec lui. Vos télégrammes sont toujours très compréhensibles et cela va très bien ainsi. Mes 72 et 74 vous annonçaient la suppression des correspondances et c'est probablement parce que mon style n'a pas plu à la censure qu'elles ne vous sont pas arrivées. Mon 78 vous annonçait que je recevais pour la première fois une carte de la tante Simonet Salmon 66 rue Vaudrée Angleur lez Liège me disant qu'elle est depuis longtemps sans nouvelles de vous. Ne pouvez-vous pas lui écrire directement ?
Contenu de la lettre à Mattow : Monsieur. Nous avons bien reçu vos lettre et carte 25 et 26 janvier. Vous pouvez prendre bonne note que nous allons nous occuper de vos commissions. Nous vous confirmons la nôtre du 8 ct. Nous pensons être rentrés le 6 ou le 7 mars. Votre frère doit arriver à peu près en même temps. Votre belle soeur l'attend à Sens. Nous vous souhaitons une bonne santé et en attendant le plaisir de vous lire, bien à vous. Signé : Samonoff Félixowitch.

- Lettre N° 85 du 13 mars 1916 : Expliquez-moi donc, par courrier spécial, ce que fait Alfred, car c'est là une question que je ne comprends pas très bien. Comment se fait-il qu'il n'arrive pas à obtenir de permission ? Et quel est donc son 4e appareil dont vous m'avez parlé, et ce matériel qu'il est allé acheter à Paris ? Est-ce que Trébizonde est pris par les russes ? Et à Verdun, que se passe-il exactement ? Nous sortons maintenant en promenade 2 fois par semaine, en groupe, suivis de 5 ou 6 sentinelles seulement et accompagnés de 2 sous officiers allemands ; nous sortons environ une centaine. A partir de décembre passé on va nous payer la demi-solde mais on nous calculera le change au taux d'avant la guerre, c'est à dire 80 marks pour 100 francs bien au-dessous du cours normal. On nous a déclaré aussi que les mandats ne seraient plus payés au cours du jour, mais bien à 80/100 ; or, ceci est un vol manifeste puisque le change est fait à Berne qui envoie effectivement l'argent au cours du jour; la différence est tout simplement empochée par les allemands ! c'est merveilleux ! nous rouspétons ferme et, par courrier spécial, nous signalons le fait à qui de droit. Voyez-vous Guist'hau (Député de la Vendée) de temps en temps ? Que dit-il ? Envoyez-moi un peu de verveine pour faire des tisanes. Dernièrement est arrivé ici un officier pris à Frise vers fin janvier, qui se trouve justement être un voyageur que j'ai connu à Smyrne ; j'en suis très heureux, car c'est un gentil garçon très bien, et nous faisons popote ensemble pour le repas du soir. Comment vont les EOB ? Les oeufs arrivent très bien, il y en avait un seul de cassé ; je crois qu'il faudrait les mettre dans un carton plus grand pour qu'il y est un peu plus de son. Rien de particulier pour l'instant; tout va normalement : nourriture la même, à midi supportable, le soir presque toujours infecte. Je vous embrasse bien tous. Ne vous inquiétez pas sur mon sort ; nous prenons notre mal en patience, et nous sommes assez habitués à la captivité pour n'en plus souffrir. Les boches ont eu de jolies pertes à Verdun parait-il ; les hôpitaux d'ici sont remplis ; l'emprunt actuel des boches n'a pas l'air de rendre beaucoup.

- Lettre N° 88 du 3 avril 1916 : ... Par mon 87 du 31/3 je vous télégraphiais : changez, emplacements surveillés, mettez dorénavant sous légumes ou café, pouvez rouler lettres intérieur noix dont recollez bords. Jusqu'à présent, tous vos journaux me sont bien arrivés, mais lors de la visite du 66, on m'a déchiré les coins du carton et l'on a découvert les journaux que l'on a simplement confisqués. Ceux du 67 arrivés ce matin dans le chocolat n'ont pas été vus. Depuis quelques temps nous avons un nouveau sous-officier à la distribution des colis et il fouille plus attentivement que les autres. Je vous ai donc écrit de suite pour vous aviser de changer la disposition. Le truc des petits rouleaux glissés dans le tuyautage du carton n'est pas encore découvert ; vous pouvez donc y aller carrément. On regarde plutôt entre les cartons dans les coins superposés. Un bon moyen est aussi dans le fond d'une boîte en fer blanc contenant des biscuits ou légumes. Quant aux lettres écrites sur de petits papiers comme celui-ci roulés et mis dans l'intérieur d'une noix. Celle-ci part dans l'intérireur d'une petite planchette en bois gravée ; si par hasard un certain jour, vous receviez un petit objet en bois, vous n'auriez qu'à le retourner à l'envers et attaquer le bois avec un canif au milieu, et là, vous trouveriez le courrier. Il peut se faire que je vous en expédie un jour. Quant à vous, continuez l'envoie des journaux ; il n'y a absolument rien à craindre ; ils en ont pris aussi quelques fois à des camarades et n'ont jamais rien dit. Si sur mon 87 j'ai mis ouvertement que vous m'en aviez envoyé, ce qui est défendu, c'était pour que ma carte parte de suite, et de plus de changer le système. Vous pourriez aussi mettre des journaux dans des boîtes de conserve que vous feriez ressouder y mettre un caillou pour qu'elle ne paraisse pas trop légère, et autant que possible recollez une étiquette sur la soudure pour la faire paraître le moins possible. Tout ce que vous m'expédié pour l'instant est très bien et je ne manque de rien. Nous avons suivi avec anxiété les opération de Verdun et nous sommes tous pleins de confiance. Nous lisons tout dans les journaux boches qui reproduisent nos communiqués. Quant aux articles des journaux boches : ils bluffent beaucoup, mais ils en rabattent un peu depuis leur échec de Verdun. J'ai l'impression qu'ils sont maintenant arrivés à leur maximum et leur dégringolade va commencer; ils ont l'air d'être serrés pour la nourriture, mais malgré tout, je crois que les opérations sont loin d'être terminées et je pense que je passerai encore un Noël ici. La dernière petite bouteille de Cognac est excellente ainsi que les gâteaux de Claire. Le coulage du Lacmé près de l'île d'Yeu dont on parle dans un article que vous m'avez expédié avait été signalé dans les journaux d'ici. Le temps se remet au beau et on recommence le jardinage. Vous ai-je dit, que dernièrement, un officier est arrivé ici que je connaissais à Smyrne. Nous sommes tous les deux dans la même chambre. Dans un article que vous m'avez envoyé parlant de la croix de guerre, je vois qu'il est question d'une commission qui examinera entre autre le cas des prisonniers qui par suite de la disparition de leurs chefs, n'ont pu être proposés. Ceci est justement mon cas puisque le commandant Darc qui devait me proposer a été tué comme je vous l'ai dit dans une lettre de l'an passé ; les majors Gerbeaux et Gabrielle étaient je crois au courant. Vous pourriez en causer au général Malterre. Il y avait aussi comme témoin de la citation qui devait être faite, un médecin aide major affecté au bataillon du 46 dont je ne me souviens plus du nom, mais que l'on peut retrouver. Vous devriez donc vous occuper de cette affaire là. Je ne sais pas si le commandant Darc avait eu le temps d'en parler au colonel Roller qui à ce moment là commandait le régiment par intérim. En tous cas le commandant Darc m'avait dit que le général Gouraud me félicitait pour les prisonniers que j'avais faits. Avec tout cela je crois que vous devriez arriver à faire établir la citation. Il y a absolument pas moyen de partir d'ici et la surveillance est très très serrée. Le seul moyen serait d'être de connivence avec un neutre qui, en auto, passerait près de nous lorsque nous sommes en promenade. Mais cela m'a l'air d'être soumis à un trop grand nombre de circonstances heureuses pour pouvoir réussir. Santé bonne, tout va bien. je vous embrasse bien tous.

- Lettre N° 91 du 19 avril 1916 : Depuis le 12 courant les correspondances et paquets sont de nouveau supprimés, toujours soit disant, à titre de représailles. Or ce n'est qu'aujourd'hui qu'on nous permet d'aviser nos familles ; je le fais donc par mon 90, mais je ne sais pas si elle vous arrivera. Quant à la présente elle sera expédiée dans un objet en bois, par l'entremise d'un anglais. Tout ce qui est arrivé ici depuis le 12 va être retourné en France ce qui fait que vos lettres et paquets vont vous revenir. Le 13 avril reçu un paquet Potin (sans numéro) ; il contenait : 9 boîtes, 1 cake et 6 potages. Reçu votre 70 (le premier de Champagne) ; le dernier de l'île d'Yeu était le 68 ; le 69 pas arrivé, à moins que vous n'ayez sauté un numéro ; le 70 contenait le cassis. Reçu LU 12 et un colis bananes Tunis. Reçu aussi votre 66, 65 et précédents ; le 5/4 reçu un colis préfecture Vendée, veuillez les en remercier; reçu 24 et 25 Stussi. Dites-lui interrompre . Reçu le 8/4 un colis de Terra. Donc, jusqu'à nouvel ordre, ne m'envoyez plus ni paquets ni lettres. Ne tenez pas compte de mes instructions des 73 et 75, car, pour les paquets envoyés aux russes, ils sont tellement naïfs que je crains qu'ils ne bafouillent si on leur demandait des explications. Voici un autre filon plus certain, par l'entremise d'un anglais. Naturellement, il faut être prudent dans vos lettres, comme du reste vous l'aviez fort bien compris la dernière fois. Voici l'adresse : Capitaine J.M. Lucas, gefangenlager, Friedberg. Vous ferez passer vos lettres par les EOB de Manchester, 100 Portland street (Terra pourrait se charger de cela ou bien quelqu'un des EOB). Donc, la première chose à faire c'est d'aviser les EOB de Manchester que, s'il reçoivent d'ici une lettre signée Lucas, elle émane de moi et les prier de vous la réexpédiée ; 2 ) leur donner l'adresse de Lucas pour qu'ils transmettent vos lettres. Par exemple, je suppose que la 1e lettre que je recevrai de vous sera pour m'accuser réception de la présente, et elle n'aura qu'a être conçue en ces termes : Monsieur, nous avons bien reçu votre lettre 91 dont nous avons pris bonne note, et tout est en ordre ; tout va bien !! etc, et ils signeront Établissements Orosdi Back. Quant aux paquets, j'ai encore du stock et rien ne presse ; si j'ai besoin de quelque chose je vous ferai écrire et, alors, les EOB de Manchester recevrait une lettre de Lucas transmettant ma commande ; je crois cependant qu'il serait compliqué que vous expédiez vos colis à Manchester pour qu'ils les réexpédient à Lucas ; si cependant cela peut se faire facilement vous pouvez m'en envoyer un par semaine ; sinon, n'envoyez rien régulièrement et si j'ai besoin de quelque chose, vous n'auriez qu'a faire exécuter directement la commande à Manchester. Pour m'écrire des lettres intéressantes, en outre des petits mots laconiques que l'on peut faire passer comme je vous l'indique plus haut, vous pouvez rouler une lettre que vous placez dans l'intéreur d'une noix que vous recollez ensuite ; vous envoyez, comme échantillon sans valeur, une livre de noix aux EOB qui les réexpédient à Lucas. Lorsque les EOB auront quelque chose, qu'ils avisent Lucas par une carte. Donc c'est bien compris. Si la mesure n'est pas levée et que j'ai besoin de paquets, je vous en aviserai. Mon 89 n'a pas dû vous être expédié. Je vous accusais réception de vos colis et des journaux qui étaient bien passés inaperçus ; les oeufs étaient très frais. j'espère que vous aurez bien reçu mes 84, 85 et 88 expédiés par courrier spécial. J'ai reçu une lettre de la tante Laurence (Belgique) du 3 avril. elle est heureuse de vous savoir en bonne santé, et il en est de même chez eux ; ils n'ont plus de nouvelles de leur fils depuis un mois. Voici son adresse: Marcel Simonet, Agnéto Park à Delft ; veuillez lui écrire et lui dire qu'il accuse réception à sa mère du mandat de 30 francs qu'elle lui a envoyé le 3 avril. Dernièrement nous avons reçu 64 officiers français venant des prisonniers faits à Verdun ; parmi eux se trouve le capitaine Mouillot dont la soeur avait épousé un Paris : préviens madame Thomas que son mari va bien, ainsi que madame Mention 14 rue de Marignan que son petit fils Raymond est en bonne santé. Vous pouvez donc dire à Madame Mouillot que son mari va très bien puisque nous sommes ensemble. Ne vous tourmentez pas sur mon sort, nous sommes habitués à ces genres de représailles et nous nous en moquons totalement, du reste, nous sommes plus malin que les boches puisque nous arrivons malgré tout à correspondre. Donnez de mes nouvelles à Alfred et Marie. Je vous embrasse bien tous très fort. Bonnes Pâques !!

MAYENCE, puis, CUSTRIN, (fort Zorndorf)

Un avis émanant des autorités allemandes du 10 mai 1916 signale le déplacement de Louis au fort Zorndorf à Cüstrin dans le Brandenboùrg 100 kms à l'est de Berlin, le 3 mai 1916, après un voyage de 27 heures, sans nourriture, via Mayence le 1 er mai. Dans ce camp il y a 5 anglais, 65 russes, 44 français.

- Lettre N° 94 du 6 mai 1916 : Je vous confirme mon 92 de Mayence le 1er mai et mon 93 du 3 mai vous annonçant mon arrivée ici. Donc, tout ce qui m'est arrivé depuis la suspension a dû vous être retourné... Vous avez dû être assez surpris de vous trouver sans nouvelles mais j'espère que ma carte et autres lettres vous expliquant ce retard vous auront tranquilisés. Le 30 avril, à 8 heures 1/4 matin on m'a prévenu que je devais quitter le camp à midi, sans m'informer où j'allais, et on me donne comme raison que je m'étais rendu désagréable par ma conduite. (tentative d'évasion) Comme vous devez bien le supposer, cette raison me remplit de joie ; nous étions 5 dans le même cas. Nous arrivâmes à Mayence le jour même pour en repartir le lendemain à 15 heures. Tous les français étaient évacués de ce camp par mesure de représailles nous dit-on. Partis lundi à 15 heures arrivâmes ici le lendemain vers 17 heures et tout ce voyage passa sans que l'on nous donnât aucune nourriture ! Je suis donc maintenant dans un fort à 100 kms Est de Berlin. Voici mon adresse : An die Kommandantur, Cüstrin, für den Hauptman Salmon, Fort Zorndorf.

Veuillez écrire aux adresses suivantes en communiquant ce que j'indique en regard.
Mme. Deloy, chez Mr. Legrand 11bis grande rue, Bourg la Reine : votre mari, le Cap.Deloye ne savait pas encore à la date du 30 avril, quand devait avoir lieu son départ pour la Suisse, mais il espère que cela ne va pas tarder et il avisera dès qu'il sera fixé. Santé bonne.
Mr. Pierson 97 rue de Courselles Paris, lui donner mon adresse pour qu'il la communique à son fils Henri, et me passer l'adresse de ce dernier.
Mme. Wollff, 40 fbg. Montmartre : Mr. Marcel Lévy est en parfaite santé.
Mme. Lamothe chez Mme. Audippred, Chagny, Saône et Loire : son fils Lucien est toujours en excellente santé.
Mme. Pipaut, 57 rue St.Fuscien, Amiens ; Mme. Danjean, 17 rue de la République, Belfort ; Mr. Espir, 20 rue de Lonchamp, Paris : Leur fils est en très bonne santé.
Mme. Pineau, 18 rue des Moreaux, Auxere, Yonne : son mari est en très bonne santé.
Mme. Aubert, 13 rue des St. Pères, Paris : mari en bonne santé.

Je regrette de vous déranger avec tant de commissions, mais cela fera un grand plaisir aux familles d'avoir des nouvelles des leurs puisqu'elles en sont privées depuis déjà 2 mois.
Sous ce pli vous trouverez une lettre pour Mr. Chiron père de l'ami de SM que j'ai retrouvé à Friedberg ; je lui confirme la commande pour une tenue qu'il fera faire par le tailleur de mon ami ; l'expédition sera faite directement et vous n'aurez à vous occuper de rien si ce n'est de régler la facture qui vous sera remise par le tailleur.
Suivent instructions pour l'expédition de colis : beurre, oeufs, pain et biscuits LU, vin, etc...
Quant à moi, tout va bien, santé bonne, moral aussi, comme toujours. Je vous embrasse bien tous bien fort.


- Lettre N° 96 du 18 mai 1916 : Les autorités allemandes nous disent : "Des plaintes étant arrivées en France sur le mauvais état du camp de Mayence, le gouvernement français usa de représailles vis-à-vis des prisonniers allemands : dans les camps de Serrière, Sédières, Mons, Caussade ; il leur fut interdit d'acheter du vin et de l'alcool, de faire de la musique, de recevoir des livres militaires ; les armoires et les bains leur furent supprimés et on leur donna seulement une ordonnance pour 10 officiers. Ces mesures ayant été maintenues, le gouvernement allemand a décidé la dissolution des camps de Mayence, Stralsund et Magdebourg et de diriger les officiers français dans des camps où des représailles semblables doivent leur être appliquées". Voici donc la raison pour laquelle je me trouve ici. Veuillez, je vous prie, envoyer une boite de LU à monsieur Sokovitch dont je vous ai donner l'adresse ; vous l'aviserez de l'envoi par un petit mot et vous lui direz : Ludovick Félixovitch se rappelle à votre bon souvenir et se fait un plaisir de vous prier d'accepter une boite de ces biscuits que vous aimez tant ; il se trouve maintenant au camp de Cüstrin et est toujours en très bonne santé...

- Lettre N° 97 du 28 mai 1916 : (Confirmation du 96). Toujours sans nouvelles de vous. Je verrai aussi avec plaisir l'arrivée de vos colis, car ici, le besoin s'en fait encore plus sentir. Menu du dîner d'hier soir: environ 60 grammes de fromage, c'est très bien ... Santé bonne, moral encore meilleur. Le séjour ici est peu agréable, car le fort est très humide ; pour la bonne saison cela passe encore, mais je crois que nous n'y aurons pas chaud l'hiver prochain...

- Lettre N° 100 du 6 juin 1916 : J'ai quitté Cüstrin (3 lignes censurées) vous donnerai ma nouvelle adresse aussitôt que possible Tout va bien santé bonne.


Dans ce camp un souterrain fut entrepris par le Cap. Derache et Roland Garros puis d'autres camarades au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Ils furent dénoncés par un officier russe de réserve qui boit tout ce qu'il trouve

NEISSE (Silésie)

- Lettre N° 101 du 7 juin 1916 : Par mon N° 100 d'hier je vous annonçais mon départ de Cüstrin pour une direction inconnue ; j'ai pris le train à 8 heures, au sud de Breslau. Ne m'écrivez pas ici (Naisse) car je ne dois y rester que quelques jours ; nous en repartirons lorsque la concentration sera terminée, et le lot d'indésirables, 35 je suppose sera dirigé vers la Pologne paraît-il. En quittant mon ancien camp, on m'a dit que nous étions envoyés en représailles parce que le gouvernement français persiste à maintenir des allemands au Dahomey. Cela devient très amusant, car c'est déjà la 3e représaille que je subis de ce fait. Aussi y suis-je bien habitué. Je ne sais pas comment la correspondance va marcher. Continuez à écrire à Cüstrin. Quant aux paquets, envoyez-en seulement un par semaine et ne contenant rien qui soit susceptible de s'abimer à part cela, je ne vois rien d'autre à vous conter pour aujourd'hui, je suis en excellente santé et je ne m'en fais pas du tout. Ne vous inquiétez pas de tous ces voyages qui du reste me distraient..

Lettre du 10juin 1916 : D'un collègue de travail : Ici à Paris, c'est toujours la même chose,le seul changamant est que nos horloges doivent être avancées d'une heure à partir du 15 juin, questions économiques, parait-il, dont nous nous moquons naturellement, c'est bonnet blanc et blanc bonnet ; mais nos autorités ont jugé bon de faire ainsi, quoique tardivement, de ça comme pour le reste.

Comme quoi les horaires d'hiver et d'été, ne datent pas d'aujourd'hui et pour les même motifs.

- Lettre N° 102 du 12 juin 1916 : Je suis toujours ici provisoirement et je pense que ce provisoire va cesser cette semaine Santé bonne, tout va bien.

- Lettre N° 103 du 13 juin 1916 : Nous quittons Naisse demain matin pour une direction inconnue. tout va bien et je vous embrasse tous.

SZCZUCZYN, (Pologne)

- Lettre N° 104 du 18 juin 1916 : ... Nous sommes 35 qui avons quitté Naisse le 14 juin à 10 heures du matin ; sommes arrivés le lendemain matin à 4 heures à Varsovie et ici, ce matin 16 juin à 6 heures. Nous sommes à environ 40 à 50 Kms de Grodno dans un petit village à 4 Kms de la voie ferrée. On nous a logés tous dans une grande salle d'usine où, cette fois, nous avons notre cube d'air. Nous avons seulement un lit fait de quelques planches sur lesquelles une paillasse contenant des fibres de bois ; 4 grandes tables faites de planches non rabotées posées sur des troncs d'arbres ; bancs de même ; pas de chaise pas de drap de lit. Le matin café ; vers midi soupe dans laquelle nagent quelques bouts de viande ; le soir pas de dîner qui est remplacé par une tasse de café. Pas de bain, pas de douche. Il fait froid. Sur notre demande pourquoi nous étions envoyés ici dans de si mauvaises conditions, il nous fut simplement répondu que c'était un ordre. Nous ne savons donc rien d'autre si ce n'est ce que l'on m'avait dit au camp précédent que ce doit être pour la question du Dahomey ... Il est certain que le confort va en diminuant ; mais ne vous inquiétez pas à ce sujet, tout va bien et je suis en parfaite santé. On vient de nous donner l'adresse à laquelle il faut nous écrire, la voici : Hauptman Salmon, Gefangenenlager Szczuczyn, durch Offizier gefangenenlager, Neisse (Schl.)...
Je vous écris ce matin de mon lit, car il fait si mauvais temps que je préfère rester coucher, d'autant plus que je n'ai rien à faire puisque mes livres sont restés dans les bagages que l'on a pas voulu me laisser emporter. Vous voyez donc que le régime pénitentiaire ne s'améliore pas, loin de là. Ainsi, cette nuit, il a plu sur certains lits ; il y a environ 8 degrés dehors et peut-être 2 de plus dedans ; pour la saison c'est charmant et cela promet pour l'hiver. On nous a fournis une cuillère, une fourchette, pas de couteau, une gamelle, pas d'assiettes pas de verres. Vous voyez donc que chez nous en France, nous sommes bien en retard puisque nous mangeons encore dans des
assiettes. Notre voyage a été assez intéressant ; nous avons traversé des zones de combats et avons encore vu des vestiges de tranchées, travaux de défense. Mais tout est désert et délaissé, les champs ne sont presque pas cultivés. En général les villages ne sont pas détruits, et les russes se sont bornés, en évacuant, à détruire les gares, Grodno a un peu souffert, Lapsy aussi parce que l'on s'y est battu. Nous nous trouvons ici dans la zone des étapes et je m'étonne que l'on nous y ait envoyés, car nous devons plutôt constituer un embarras. Ici se trouvent un certain nombre de soldats turcs prisonniers qui sont employés à des travaux. (Suivent 2 lignes sansurées). Ne vous tourmentez en aucune façon sur mon sort, ma santé et mon moral sont excellents et tout va bien.

Le Capitaine de Gaulle, les Cdt. Roederer, Catroux , le colonel Tardiù, le journaliste Rémy Roure, l'éditeur Berger-Levrault, le Cap. Lelong et Roland Garros font partie du groupe d'officiers français; il faut y ajouter un jeune officier russe : Mikhaïl Toukhachevski .

- Lettre N° 105 du 19 juin 1916 : Depuis mon départ du fort de Naisse, je n'ai pas de vos nouvelles car les correspondances n'ont pas encore suivi. Rien de nouveau et nous ne savons toujours rien sur la durée de notre séjour ici. Quoi qu'il en soit je suis déjà habitué à cette nouvelle prison, bien que ce ne soit rien de très gai ; nous habitons une salle d'usine au premier étage de 31 pas de long sur 16 de large, éclairée par 13 fenêtres garnies, non pas de rideaux, mais bien de fils de fer barbelés ; on nous y enferme à clef à 9 h du soir jusqu'au lendemain matin; le plafond laisse passer l'eau et les carreaux le vent ; le plancher perméable permet aux mauvaises odeurs et à la fumée du dessous de monter jusqu'à nous ; une échelle de meunier nous permet de descendre dans un petit carré de cour de 35 sur 35 pas ; je ne vous parle pas des WC, c'est quelque chose d'ignoble ; douches inexistantes ; une cuvette émail et une demie serviette par personne ainsi qu'une écuelle en fer; pas de verres, pas de chaises, pas de draps de lit ; 2 minces couvertures épaisses comme un torchon ; de la fibre de bois dans une toile comme paillasse, posée sur des planches. Voilà, une installation kolossalement confortable comme vous en souhaiteriez certainement pour vivre de vos rentes ; je (3 lignes censurées) nous sommes 35 dans cette condition et nous nous amusons fort de cette situation. Le premier jour nous avons reçu la visite du commandant des étapes de l'armée d'ici qui lorsque nous avons demandé la raison de notre traitement primitif n'a pu que répondre que c'était un ordre, et que, un ordre c'était un ordre. Hier nous avons eu la visite d'un général ; il a fait très posément le tour de la salle, saluant de droite et de gauche, paraissant furieux, et est sorti sans dire un mot. Ici nous avons assez de pain, mais le menu laisse fort à désirer; ainsi ce soir comme dîner, un vague café ; à déjeuner de l'orge avec une tranche de saucisson. Comme on ne m'a pas laissé emporter mes bagages, ma réserve de conserves sauf quelques boites est restée en arrière ; je ne risque donc pas d'engraisser à ce régime. Mais tout ceci est sans importance et je ne vous en parle que pour citer un point d'histoire digne du moyen âge, car nous savons supporter tous ces petits désagréments avec la résignation que vous nous connaissez. Nous sommes à environ 60 km de Grodno et 90 km du front; c'est ce qui nous fait supposer que nous n'y resterons probablement pas longtemps. Rien de plus pour aujourd'hui et je vous embrase bien tous.

- Lettre N° 107 du 30 juin 1916 : Vos correspondances m'arrivent donc maintenant régulièrement. Quant aux paquets, on nous répond toujours évasivement; il y a quelques jours on nous a dit qu'ils allaient venir, mais nous ne voyons toujours rien ; mais comme d'autre part, nous n'avons pas été prévenus que les paquets sont suspendus, je finis par croire qu'une fois de plus on ne veut rien nous dire... Quoi qu'il en soit, nous ne nous plaignons pas de notre sort ; nous nous bornons à constater les faits qui ont pour résultats heureux de former encore un peu plus de haine en nous, bien que la coupe soit pleine depuis longtemps. Deux dimanches se sont déjà passés ici sans qu'il nous soit donné d'assister aux services des cultes ; ceci est d'autant plus étonnant que les allemands passent pour des gens très pieux et c'est donc en contradiction formelles avec leurs principes. Nous avons demandé plusieurs fois mais aucun résultat ; c'est là encore une infraction à la convention de la Haye. Je ne vous parle plus de l'installation, dont je vous ai décrit les beautés dans mes précédentes ; rien n'a changé depuis, mais nous sommes bien habitué à cet état d'hommes primitifs. Je ne vous en dis pas plus long à ce sujet, car vous pourriez croire que je me plains or ce n'est pas le cas (2 lignes censurées) : « je sais maintenant ce que c'est que d'être prisonnier de droit commun»; (d'après les doubles de lettres conservés au camp). Tout est supportable dès l'instant que l'on a confiance dans l'issue fatale et de suite les nouvelles sont bien faites actuellement pour nous réconforter. J'ai reçu une lettre d'Alfred à laquelle je réponds ci-joint ; la présente a donc 6 pages et il ne devra pas vous en arriver 4 seulement comme l'autre fois. Tout va bien, la santé est très bonne malgré le mauvais temps. Je pense que vous avez pu donner à Mr. Guist'hau assez de renseignements pour qu'il puisse s'en servir dans l'établissement d'un mode de réciprocité. En attendant de vos bonnes nouvelles je vous embrasse bien tous.

- Lettre N° 112 du 18 juillet 1916 : Vous pouvez augmenter le nombre des boîtes de conserves, (Lignes censurées retrouvées sur la copie de l'original : «car l'ordinaire devient de plus en plus mauvais et insuffisant. Notre traitement vient de subir une nouvelle transformation et, après avoir connu le régime des droits communs, nous sommes ramenés à celui des potaches»). Voici exactement ce qui vient de se passer: il a été constaté un trou dans un des murs de notre chambre d'où on en a conclu à des préparatifs d'évasion. ( tentative d'évasion du Cap. De Gaulle et de Roederer) Donc pendant 14 jours nous sommes aux arrêts sauf une demie heure matin et soir; pendant 3 semaines suppression du tabac et des journaux; nous ne pouvons plus acheter à la cantine, même le papier hygiénique pour WC. On semble oublier totalement que nous sommes des officiers d'une nation européenne, au 20 ème siècle ; nos ordonnances ne peuvent venir dans notre chambre que 3 fois par jour pendant une heure, sous la surveillance d'une sentinelle en armes. De plus nous sommes prévenus qu'en cas de tentative d'évasion, les sentinelles ont ordre de tirer sans aucune sommation. Je ne critique pas ces faits car vous saurez les apprécier vous-mêmes à leur juste valeur. Quoique surprenants et incroyables, ils reflètent l'exacte vérité. Tout va bien, santé très bonne.

- Lettre du 18 juillet 1916 à son ami Chéron : J'ai eu le plaisir d'avoir de vos bonnes nouvelles par monsieur votre père qui a dû vous en passer des miennes. Depuis fin avril, j'ai déjà changé 3 fois de résidence et j'en suis à ma quatrième. Pour l'instant, je fais une saison à Szczuczyn dans les environs de Grodno, et j'ai fait un voyage fort agréable. Je ne sais pas encore quand je rentrerai. Il y a peu de monde ici cette année et nous ne sommes encore que 37 touristes dans notre hôtel. J'ai appris que vous aviez avec vous quelques uns de mes bons amis, entre autres Zizi, Lamothe et Danjean ; voulez-vous leur souhaiter le bonjour de ma part et leur dire que je regrette beaucoup les bons moments passés ensemble avant la guerre ; je souhaite que la captivité ne vous soit pas trop dure à vous tous. Est-ce que vous avez un tennis dans votre camp ? Je suppose que vous avez dû organiser des bridges et des concerts pour rompre un peu la monotonie. Est-ce que Mouillot et Eude ne sont pas avec vous ? Et Fumat ? Je lui avais écrit commencement juin ; a-t-il reçu ma lettre ? Comme je suis souvent en voyage il est préférable que vous me répondiez par votre père.

- Lettre N° 114 du 24 juillet 1916 : Chère petite mère. Malgré la distance qui nous sépare j'espère que cette carte arrivera à temps pour te porter tous les souhaits que je formule à l'occasion de ta fête du 15 août ; c'est déjà la seconde que je te souhaite en captivité et je pense que je n'en aurai plus qu'une à te souhaiter dans les mêmes conditions, car il est probable que l'an prochain nous ne serons pas encore réunis à cette époque. Ne t'inquiétes pas sur mon sort j'aurai la patience d'attendre aussi longtemps qu'il sera nécessaire.

- Lettre N° 115 du 28 juillet 1916 : Depuis que nous sommes ici, nos correspondances sont devenues irrégulières et le service des colis laisse beaucoup à désirer. Voici un aperçu de notre menu : 20 juillet à midi : soupe à la semoule et quelques filaments de viande, soir café très clair; 21 juillet : soupe semoule très claire, 2 morceaux de sucre ; soir: café et un hareng cru ; 22 juillet midi : soupe au riz, porc pourri ; soir: café, confitures. 23 midi : soupe aux pois, porc pourri ; soir : fromage etc, et ainsi de suite. A part cela tout va bien, santé très bonne.

- Lettre N° 117 du 5 août 1916 : Ici nous faisons notre cuisine sur un foyer en plein vent comme dans la tranchée, cela fait très bien notre affaire; je peux donc faire cuire tout ce dont j'ai besoin. Tout va bien quant à moi ; temps très mauvais. Soyez persuadés que je ne me plains pas du tout de mon sort, nous ne demandons qu'une chose, c'est qu'on en fasse autant chez nous. Il pleut énormément ici et notre chambre se transforme en marécage ; c'est très drôle. A part cela, santé bonne et moral encore meilleur, surtout en ce moment où tout va bien.

- Lettre N° 122 du 5 septembre 1916 : Ce matin 11 de nos camarades sont partis ; nous restons 26 jusqu'à quand ? nul ne le sait.

- Septembre 1916 : Note à l'attention du Gouvernement français: Transmettez au gouvernement français que l'autorité allemande nous communique une dépêche du ministère allemand disant : Szczuczyn n'est pas un camp de représailles mais un camp organisé pour nécessité de service ; or notre bâtiment laisse passer la pluie, partout la toiture est délabrée ; chauffage, draps, bains, douches, cabinets, éclairage sont inexistants. Cantine supprimée, cour minuscule partagée avec soldats russes ; puces partout, location logement exigée. Les déclarations adressées aux Ambassadeurs sont arrêtées et retournées. Cette situation semble devoir durer. Nous demandons instamment des mesures analogues contre les officiers allemands prisonniers en France.

- Lettre N° 126 du 27 septembre 1916 : PS: On nous dit ce soir officiellement que nous devons nous tenir prêt à partir d'ici dans les tous premiers jours d'octobre pour rentrer en Allemagne.

- Lettre N° 127 du 1er octobre 1916 : Le 11 septembre on nous a annoncé que le camp de Szczuczyn n'était pas un camp de représailles. Depuis cette date, on a cependant rien changé à notre régime si ce n'est que lundi dernier et aujourd'hui nous avons enfin pris une douche. Ceci après 3 mois 1/2 de séjour ici ! Depuis une dizaine de jours il fait froid et il gèle, 3 degrés au-dessous. Nous sommes sans feu. Les nouvelles que vous aviez au sujet de la fin de mon séjour ici étaient bien prématurées et nous avons probablement fait du rabiot. Mais comme tout a une fin, on a tout de même annoncé que nous allions partir incessamment. Nous devons nous tenir prêt; ce peut être pour demain très probablement. Je vous aviserai aussitôt arrivé dans un autre camp. Rien de plus pour aujourd'hui. Je vous écris assez rapidement car je vais faire mes préparatifs de départ.

 

Notes sur le séjour à Szczuczyn

- Le 16 juin 1916 : 3 russes mis au poteau.
- Le 27 juin: Intervention interdisant de parler aux russes.

- Le 11 juillet : un biplan boche nous survole.
- Le 14 juillet : Pavoisement du camp entre nous. Les soldats russes chantent l'hymne russe et défilent.
- Le 15 juillet : découverte du trou. 15 heures visite du chef de camp : je vous ai prévenu, une tentative d'évasion est inutile, j'invite le coupable à se faire connaître, sinon, il y aura des punitions collectives. Il attend. Réponse néant. Le lieutenant-colonel Tardiù, officier le plus gradé, lance un ordre au moment où le Cap.de Gaulle, d'un signe, invite Roederer à s'avancer. - Garde à vous ! lance-t-il. Nous avons tous participé à cette tentative d'évasion.

- Le 2 août : interdiction aux russes de chanter l'hymne. En protestation avons chanté la Marseillaise.
- Le 6 août : altercation avec le sous-officier.
28 août : déjeuner servi dans 3 seaux de toilette.

- Le 1er septembre : De Manjon passe en conseil de guerre, 3 mois de prison. 5 septembre : départ de 11 camarades.
- Le 16 septembre : création puçodrome.
- Le 17 septembre : plantation d'arbres sur la route.
- Le 20 septembre : réouverture cantine après 2 mois de fermeture.
À la suite d'un incident, le commandant du camp, le major von Stockhausen fit rassembler les officiers devant la garde réunie et fit un discours à ses hommes, les encourageant à l'assassinat, disant qu'ils n'avaient devant eux "que des officiers français" et que, par conséquent il ne fallait pas hésiter à tirer au moindre geste.
Un camarade a été traduit en conseil de guerre sur déclaration d'un faux témoin boche pour avoir cassé des bouteilles qui cependant lui appartenaient ; il a eu 3 mois de prison.


Les prisonniers étaient à la merci des gardiens sans recours contre leurs agissements. Il est possible de savoir dans quel état de décrépitude vivaient les prisonniers en lisant la lettre d'un camarade, le capitaine major Petit qui s'est ouvert le pied avec une hache. Quand il arrive au lazaret de Grodno pour hommes de troupe français et russes ;
il écri
t :
"après m'avoir fait passer au bain (quel bain) et aussi à l'épouillement, à la recherche des puces, l'on m'a conduit dans une cellule où j'ai passé une assez mauvaise nuit". Il a par contre été soigné par un chirurgien habile et consciencieux.

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