- EXTRAITS DE LA CORRESPONDANCE SUITE (2)-

INGOLSTADT (fort IX)

- Le 26 septembre 1916 : les soldats russes quittèrent le camp vers 6 heures du matin et, comme pour nous empêcher de leur faire nos adieux, on nous avait enfermés, nous avons forcé la serrure et sommes sortis malgré tout. Chose inouïe, un sous-officier boche a menacé de gifler un officier français ; on a fait sortir la garde, mais cela n'a mené à rien, car les sentinelles nous étaient acquises. Le matin même, le commandant vers 10 heures est venu pour nous impressionner et nous menacer dans l'intention de nous provoquer et de créer ainsi un incident. Il a fait ranger la garde dans la cour à 10 pas de nous ; il a fait charger les armes et a crier comme un sauvage ; l'affaire serait trop longue à raconter ; il vous suffit de savoir que nous avons eu le dessus et que ses provocations n'ont pas eu prise, nous nous sommes même moqués de lui et l'avons forcé à battre en retraite par notre attitude. Bref, en 2 mots, il n'y a rien eu à faire avec nous et ils ne nous ont pas dressés, loin de là, mais il était bon que cela finisse, car notre patience était à bout. Enfin on s'est décidé à nous expédier. Remarquez bien que, lorsque dans nos lettres, nous décrivions notre régime, ce n'était pas pour rechercher une amélioration, nous désirions seulement qu'en France on traite les boches de la même façon. Je trouve qu'en France nous nous laissons trop facilement berner par les promesses boches ; sachez qu'il n'y a aucun accord à faire avec ces gens là, car ils ne les respectent jamais. Ainsi, lorsque vous croyiez les représailles terminées, ici ils se sont contentés de nous dire que notre camp n'était pas un camp de représailles, mais ils ne changèrent rien au régime, il n'y avait donc que l'étiquette de modifiée. Sur les 37 nous sommes 22 amenés à Ingolstadt. Nous sommes dans un des forts en avant de la ville, et si ce camp ne porte pas le titre de représailles c'est tout comme. Nous sommes installés d'une façon ignoble, dans des casemates humides, pas de table de toilette ni armoire, une cuvette pour dix, une table pour six. Nourriture infecte. Surveillance très serrée (mais cela est leur droit) évasion pour ainsi dire impossible. Sommes ici une soixantaine de français et 12 russes ; la plupart des repris d'évasion. Je ne suis donc pas mieux au point de vue matériel qu'au fort de Cüstrin, mais cela m'est égal. Ne vous tourmentez jamais à mon égard, vous savez que je m'arrange de tout, et j'estime qu'en France on a autre chose à faire que de s'occuper des prisonniers ; seulement, une fois pour toute, qu'on applique donc notre régime aux boches, afin que nous ne soyons pas toujours des poires. Avons fait un voyage fort intéressant. Communiquez ces renseignements au ministère: "Szczuczyn sur la ligne de chemin de fer de Grodno à Lida, se trouve dans la 9e étape mobile du 1er et 20e corps d'armée dont les services étaient installés à Grodno. Dans les premiers jours de septembre ces services de l'arrière furent transportés de Grodno à Bialystock. Szczuczyn est desservi par la gare de Rochenka à environ 75 kms de Grodno. Les boches viennent de construire un petit chemin de fer à voie étroite (60 cm) que nous avons vu allant de Rocenka à Szczuczyn en suivant la route ; cette ligne continue au-delà de Szczuczyn en traversant le village et se dirigeant vers le nord pour rejoindre la route directe de Skida-Lindel-Grodno. Je n'ai pas pu avoir de renseignements précis sur le prolongement de cette voie, mais il est presque absolument certain qu'elle va rejoindre la ligne de chemin de fer de Grodno à Wilna. Elle a été construite par les deux bouts à la fois qui se sont rejoints devant notre camp que quelques jours avant notre départ, probablement avec l'intention de nous en cacher la construction le plus longtemps possible. Cette ligne doit être tant soit peu en parallèle au front et serait préparée d'avance pour faciliter le ravitaillement du front lorsqu'il y aura un repli de la ligne actuelle ; et, si cette ligne a été établie à cette hauteur, ceci peut amener à supposer l'endroit probable de la prochaine ligne future lorsqu'il y aura décalage si les boches sont maîtres de s'arrêter où ils semblent en avoir l'intention. À Szczuczyn se trouvait un bataillon de réserve qui a été évacué le 26 septembre vers la Somme, d'après ce que nous savons. Ils ont emmené avec eux 60 soldats russes environ qui étaient internés dans notre camp. D'après des renseignements, Grodno semble se vider. Les boches ramassent tous les civils en âge de porter les armes et les emmènent ; j'en ai vu de 18 ans ; ils réquisitionnent tout. Cela amène à supposer qu'ils font le vide afin de laisser la place nette au cas d'une évacuation. Le pont de la ligne de chemin de fer à Grodno n'a pu être rétabli par les boches ; ils en ont fait un à coté de l'ancien ; les piles en sont en bois, et la destruction en serait facile ; il est très surveillé car les boches ont une grande peur de le voir sauté. Deux tours se trouvant à Grodno près de la voie servent de postes d'observation contre les avions ; sur leur plate-forme sont des sentinelles et des mitrailleuses. La ligne de résistance principale préparée d'avance par les boches semble être près de Skidel, mais je n'ai pu en définir exactement des points ; il est évident que l'on doit savoir où, mais tout ce que je puis dire à ce sujet, c'est que nous avons vu certains points d'appui le long de la voie ferrée comprenant des tranchées toutes neuves avec réseaux de fils de fer. Voilà donc ce que je vous prie de transmettre et j'espère que cela viendra à l'appui de renseignements d'autres sources, ce qui permettra peut-être de les confirmer. En tout cas ce que je cite plus haut est le résultat de mes observations et impressions personnelles.

Même prisonnier, le Capitaine observe ce qui se pase autour de lui et transmet les renseignements en France.

Il est regrettable que vous n'ayez pas continué à m'envoyer des journaux pendant mon séjour à Szczuczyn, car nous pouvions recevoir tout ce qu'on voulait assez facilement. Néanmoins, vous pouvez maintenant continuer à m'en expédier dans chaque colis ; vous n'avez qu'à les dissimuler dans un double fond, dans le carton ou bien au fond des caisses d'oeufs. En somme dans un colis il y a de nombreux moyens pour dissimuler des journaux sans qu'ils soient vus. Nous avons eu la chance pendant notre séjours à Szczuczyn d'avoir un appareil à photos ; nous en avons une série et allons faire notre possible pour les faire paraître dans l'Illustration. Si donc vous voyez un jour quelque chose à ce sujet, vous me l'enverrez. A-t-on écrit quelques articles dans les journaux au sujet des représailles de Pologne ? Si oui envoyez-les moi. Voici ce que je vous disais dans mon 120 "depuis une huitaine la cantine est de nouveau fermée ; il s'agit probablement d'une brimade de plus, on n'a même plus de papier hygiénique. Tout bien !! Il parait qu'en France on a fait des représailles pour notre exile ici, donc nous sommes contents, c'est tout ce que nous voulions."Ne vous inquiétez donc pas au sujet des remarques que je fais dans mes correspondances ; je suis très modéré et cela n'a aucune importance si ce n'est que de temps en temps la censure rature, cela n'entraîne rien d'autre. Vous pouvez écrire à Mr. Chéron pour qu'il prévienne son fils de mon changement de camp. Est-ce qu'il est en correspondance avec son fils par ce procédé-ci ? Si oui il devrait lui demandé qu'il me fasse parvenir un mot. Quant à vous, vous pouvez employer ce procédé pour m'écrire, et dans les colis il n'y a aucun danger en roulant la lettre et l'introduisant dans le gaufrage. N'oubliez jamais de mettre un numéro avec un cercle autour lorsque je dois trouver quelque chose dans le colis. En septembre on nous a informés que l'on allait nous faire payer un loyer, ainsi je paierai 3 marks par mois, c'est absolument scandaleux, on donne comme prétexte que nous en France nous faisons payer de la location aux boches. J'espère que cette lettre qui ne passe pas par la censure vous rassurera tout-a-fait sur mon état puisque je peux vous dire tout ce que je veux. Écrivez moi aussi de-même pour me tenir au courant. Notre voyage de retour à été dur, 8 par compartiment, à Varsovie avons bien mangé au buffet de la gare mais depuis que nous avons pénétré en bochie, nous avons été estampés comme prix, on payait très cher et on avait rien à se mettre sous la dent. A Breslau une omelette de 2 oeufs 2 marks! et tout à l'avenant. A Hof, on a refusé de nous donner bière ou vin. Donc je vais bien, ne vous en faites pas à mon sujet. Je vous embrasse bien tous .Vous me direz quand vous aurez transmis les renseignements que je vous ai donnés.

- Lettre N° 129 & 130 des 7 & 8 octobre 1916 : Vous ai expédié ce matin une carte vous donnant uniquement nouvelle adresse ; la voici ci-dessus et c'est là maintenant qu'il faut adresser lettres et colis. Nous avons quitté Szczuczyn le 4 octobre à 5 heures 30 comme vous le faisait prévoir mes dernières correspondances. Avons pris train à 8 heures ; avons traversé : Grodno, Varsovie, Breslau, Ratisbone. Sommes arrivés ici à 8 heures le 7 octobre après 72 heures de chemin de fer. Le voyage que nous venons de faire a été fort intéressant et nous ne le regrettons nullement. Sommes ici dans un des forts en avant de la ville d'Ingolstadt, ville qui se trouve au nord de Munich. N'oubliez jamais de mettre le N° 9 qui est celui de mon fort. C'est ici comme à Cüstrin mais plus grand, nous sommes installés dans des casemates humides. Dans ma chambre nous sommes 6 et faisons popote ensemble. Il y a donc quelques modifications a apporter à la confection des colis. (Suit liste de ravitaillement désiré) .Vous m'étonnez lorsque vous me dites que toutes les représailles sont terminées, car jusqu'à la date de notre départ de Szczuczyn, rien n'a été changé à notre régime, on nous a laissé gelé malgré plusieurs degrés au dessous sans nous donner de feu. Mais le résultat est nul car nous avons tout supporté avec joie et nous sommes très heureux de notre voyage. Quant au régime d'ici il est à peu près le même qu'à Cüstrin où j'avais été en représailles. Vous voyez donc que si en France on laisse supposer une amélioration de notre sort, c'est inexact, mais sachez bien que je ne me plains jamais de mon sort, ils auront beau faire, cela ne nous fera pas changer notre façon de voir. Pour aujourd'hui je ne vois rien de plus, je ne suis pas fatigué de notre long voyage malgré sa lenteur et son peu de confort, nous étions 8 par compartiment et dans les buffets où nous avons mangé le tout était en général fort mauvais en quantité très réduite et excessivement cher par exemple. La température est plus douce ici, nous y avons trouvé un changement agréable car nous avons une cuisinière (à nos frais) ce qui nous permet de faire cuire chose indispensable comme partout. Ici l'administration bureaucratique ne fournit ni armoire ni table de toilette mais par contre on a une cuvette pour 6 officiers, 1 table pour 6, heureusement que l'on dit qu'il n'y a plus de représailles car on ne s'en doute certes pas. Nourriture infecte, régime ignoble, brimades continuelles, communications avec ambassade rendu impossible, surveillance très serrée (mais cela est leur droit) évasion pour ainsi dire impossible somme ici une soixantaine de français et 12 russes la plupart des repris d'évasion. Je ne suis donc pas mieux au point de vue matériel qu'au fort de Cüstrin, mais cela m'est égal. Ne vous tourmentez jamais à mon égard vous savez que je m'arrange de tout et j'estime qu'en France on a autre chose à faire que de s'occuper des prisonniers, seulement une fois pour toute qu'on applique donc notre régime aux boches afin que nous ne soyons pas toujours des poires. Je trouve qu'en France nous nous laissons trop facilement berner par les promesses boches, sachez qu'il n'y a aucun accord à faire avec ces gens car ils ne les respectent jamais. Ici on ne peut écrire qu'à jours fixes, une carte tous les dimanches et une lettre chaque 1er et 3e mercredis; vous aurez donc plus d'intervalle dans mes correspondances car de temps en temps je devrais disposer d'une carte pour madame Vieillot ou l'oncle Léopold.

- Lettre N° 131 du 10 octobre 1916 : (Courrier spécial donne des détails sur le séjour à Szczuczyn il y a des répétitions et des ajouts, je reproduis intégralement cette lettre afin de ne rien omettre).

Ma dernière de Szczuczyn portait le N° 127 du 1er octobre. Le 128 d'ici était une carte portant simplement nouvelle adresse. Le 129 écrit le 7 mai portant la date du 4 vous parlait de mon transfert ici et, enfin mon 130 carte du 8 vous confirme les précédentes. Je n'ai jamais pu vous envoyer de courrier spécial de Szczuczyn car on ne nous permettait pas l'envoi de colis. Malgré tous les mauvais traitements et souffrances morales et matérielles que l'on nous a fait subir là-bas, nous nous en sommes assez bien tirés. Dans toutes mes lettres je ne vous ai jamais rien exagéré au contraire je n'ai pu tout dire ; mais quoique l'on fasse, cela nous a laissé indifférents, car on n'atteindra jamais notre moral. Il faut cependant reconnaître que notre régime était scandaleux et une nation soit disant civilisée qui s'abaisse à traiter ainsi ses prisonniers mérite à tout jamais à être mise au ban de l'humanité. Nous étions 37 dans une chambre (une grande salle d'usine) de 30 mètres sur 10. Fils de fer aux fenêtres ; enfermés à clef de la nuit au matin ; pour la nuit, un baquet hygiénique (!!) dans la chambre. Nombreux carreaux cassés. Toiture délabrée laissant pleuvoir à pleins seaux dans la chambre. Lits faits de planches ; une mince paillasse contenant des fibres de bois ; pas de draps de lit, couvertures de coton plus que légères ; une écuelle en fer; pas de feu, lumière insuffisante ; éclairage pour ainsi dire nul ; pas de bain ni douche. Nourriture innommable mais nous réussissions à nous procurer des vivres par des prisonniers russes allant travailler à l'extérieur.
Comme commandant du camp, nous avions une véritable brute qui s'est couverte de ridicule. Nous avions commancé des préparatifs d'évasion en perçant un mur, mais malheureusement le trou a été découvert avant que ce soit terminé, probablement par espionnage.

NDLR :Dans les divers livres que j'ai consultés, il n'est question que de de Gaulle et Roederer pour la préparation de cette tentative d'évasion. Par contre sur ordre du lieutenant-colonel Tardiù, l'ensemble des officiers assuma la responsabilité de cette tentative d'évasion.

Le commandant rageur nous a menacés, mais nous avons absolument refusé de parler ; alors nous fûmes punis comme des écoliers par des mesures ridicules que je vous ai signalées.
Un camarde a été traduit en conseil de guerre pour avoir cassé des bouteilles qui lui appartenaient ; il a eu 3 mois de prison. Séance du conseil à laquelle j'assistai comme témoin pleine de partis pris et de mensonges dans les déclarations de faux témoins boches.

Les colis arrivaient pillés malgré nos réclamations. Services religieux, 3 en 3 mois 1/2. Bref, nous étions à leur merci et nous étions sans secours contre leurs agissements.

 

Jusqu'à la fin de l'année 1916 rien de particulier n'apparaît dans les correspondances en dehors des commandes de vivres et des affaires de la famille ou des amis. Dans la correspondance, il ya également des vides quand il et au cachot et quand il y a privation de courrier et de colis pour le camp.

- Lettre N° 148 du 15 février 1917 : (Courrier clandestin donnant des détails sur la vie à Ingolstadt). Comme je vous le disais par mon 145 j'ai bien reçu votre lettre spéciale du 18-12 ; vous pourrez donc continuer à opérer de la même façon, c'est parfait. Mon 147 est du 7/2 mais je ne sais s'il vous parviendra car la censure l'a déjà refusé 2 fois sous prétexte que c'est mal écrit. Du reste nous continuons à être ici soumis au régime du bon plaisir d'un commandant de fort à demi fou. Dernièrement cet être en est arrivé même à se livrer à des voies de fait sur des officiers français, et ce qu'il y a de plus fort c'est que l'on a traduit ces officiers en conseil de guerre. Le lieutenant colonel français , le plus ancien d'entre nous a écrit au ministère de la guerre allemand pour demander à ce que l'on envoie un délégué se livrer à une enquête. Le commandant du 3e corps d'armée bavarois a arrêté la demande. Quand nous communiquons avec l'embassade d'Espagne, on nous supprime une lettre de notre correspondance. A titre de punition on est privé de correspondance et de colis. Dernièrement, une sentinelle en plein jour, a tiré 2 coups de feu sur un groupe d'officiers, sans sommation aucune, sous prétexte qu'ils étaient à un endroit du rempart interdit à la circulation ; or, à ce moment-là, aucun obstacle n'interdisait l'accès à cet emplacement. Sur notre protestation d'être soumis à un régime de représailles, il nous fût répondu officiellement par le ministère que le camp du fort 9 était un "camp de sûreté". Nous sommes environ 120 français, 2 belges, 30 russes et 15 anglais pour la plupart des évadés repris et des officiers repérés spécialement. Nous sommes 6 par casemate, très humide, environ 10 kilos de charbon par jour, chauffage insuffisant. Nourriture ignoble et presque inexistante ; l'autre jour avons pesé notre viande qui accusait une moyenne de 12 grammes par tête par jour. Le soir presque rien, par exemple : quelques vagues cerises à l'eau (5 à 6 par tête). Enfin je n'entre pas dans les détails qui seraient fastidieux. Je me suffis avec vos colis et je ne manque de rien. Ne croyez pas que je me plains de mon sort, je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pouvoir être encore avec les nôtres sur le front, car ici, vie inutile et abrutissante. La surveillance est très active et il est très difficile d'arriver à s'évader. Toutes les tentatives ont échoué. Des camarades ayant réussi ont été repris tout près de la frontière à moitié gelés. Ce qu'il faudrait pour nous donner quelques chances de réussite, serait une organisation installée par notre ministère au moyen de contrebandiers ou tels qui feraient la navette pour faire passer la frontière à des endroits non surveillés. Enfin, attendons et espérons. Votre lettre 18-12 m'a fort intéressé et vous voudrez bien m'écrire souvent ainsi; vous pouvez aussi envoyer des figues à Chéron et, ainsi en profiter pour lui donner de mes nouvelles. Je suppose qu'Alfred est occupé à extraire du minerai de fer; est-ce cela ? Dans quelles conditions est-il ? Sous ce pli une photo de Mme. V. et de sa plus jeune fille ; veuillez l'envoyer à Mme. B. (la censure a refusé l'envoi en France de cette photo dans une de mes lettres). Ne vous inquiétez jamais sur moi , je sais endurer en silence, je me rattraperai plus tard. Les boches n'ont pas l'air à la noce mais ils tiennent ferme. Néanmoins je pense bien que nous n'en avons plus que pour 2 ans environ. Je suis pressé je ne puis vous en dire plus aujourd'hui car nous allons fermer le paquet. Envoyez le bonjour à Chéron, Mouillot, Lamothe et Pipaut (tous avec Chéron). Rien de bien particulier. J'espère que vous pourrez m'envoyer les étiquettes LU c'est pour pouvoir refermer nos boîtes pour y cacher quelque chose. Les boîtes LU ne sont jamais fouillées; il suffit que les biscuits du dessus soient bien rangés. Je vous embrasse bien tous.

Mort de son père Félix.
Pour cette période, les lettres de ses proches seront également reproduites.

- Lettre du 15 mars 1917 : Dans cette lettre de l'île d'Yeu, petite Mère indique à Louis que son père est un peu indisposé ; c'est sans doute occasionné par la longue période de froid que l'on vient de traverser, il était devenu très frileux.

- Lettre du 17 mars 1917 : de sa mère Je t'ai écrit avant hier que ton père était indisposé,il vient d'avoir une congestion cérébrale. Il est au lit, il ne souffre pas ; jusqu'à présent le docteur ne semble pas inquiet ; ton père prend du lait, du chocolat, des jaunes d'oeufs ; on lui a mis des sangsues et des sinapismes, de la glace sur la tête ; une religieuse de l'hôpital est venu m'aider. Nous te tiendrons au courant de sa santé. Ne t'inquiétes pas si mes lettres subissent des retards, car il y a des courriers de supprimés.

- Lettre du 21 mars 1917 : de sa mère L'état de ton père reste à peu près stationnaire, le docteur ne dit pas grand chose ; il digère bien ce qu'il prend, il ne se plaint pas, mais il ne nous parle guère. Je l'ai installé au rez de chaussée, dans le petit salon où il a la vue sur le port, cela semble lui faire plaisir. Mais le 25/3, l'état de santé de son père ne s'améliore pas et sa mère s'en inquiète.

- Lettre N° 155 du 1er avril 1917 : Je trouvais déjà curieux que vous ne parliez plus de votre rentrée à Champagne et je m'étonnais que ta lettre du 15-3 ne m'annonce pas le départ de Claire. Aussi je commençais à me demander s'il ne se passait rien d'anormal chez nous lorsque tes 242 et 243 m'apprenent la maladie de petit père ; j'en suis bien peiné, surtout dans ces circonstances, mais j'espére bien que tes soins dévoués ainsi que ceux de Claire arriveront à surmonter cette crise. Donne-moi des détails et tiens-moi au courant; comment cela est-il arrivé ? On nous a informés hier que nos colis ne nous seraient plus livrés ; ne m'envoyez plus rien jusqu'à nouvel ordre Je t'écrirai le 4 une lettre et j'espère que d'ici là j'aurai reçu de meilleures nouvelles. Embrasse bien petit père.

- Lettre du 3 avril 1917 : de sa mère Je ne voulais pas t'inquiéter par la maladie de ton père, c'est pourquoi je t'ai dit que notre voyage à Champagne était retardé, puis je ne t'en ai rien dit pendant plus de trois semaines espérant te soustraire longtemps encore à une nouvelle peine , mais, de l'avis de ton frère, de ta soeur et d'amis, et en y réfléchissant craignant que tu ne sois mis au courant par des étrangers, je me suis décidée à t'en parler progressivement, puis j'ai prié ton aumônier de t'en parler et de te consoler, tu auras pu lui confier ta peine, cela te soulagera ; ici, mes enfants m'ont été d'un grand secours, j'ai senti davantage leur tendresse. Je connais la tienne pour nous, aussi quel va être ton chagrin ? Nous t'aimerons davantage si c'est possible.
Le 19 février, ton père s'est levé comme d'habitude, a déjeuné, a écrit dans la serre une lettre au chef de gare de Champagne pour lui demander les nouvelles heures de train, (nous devions partir le 8 mars) puis, il est allé dans le jardin, il ne s'est plaint de rien, je n'ai rien remarqué en lui d'anormal. A peine 3/4 d'heure après la femme de ménage l'a trouvé assis sans mouvement dans le jardin et m'a prévenue, il ne parlait pas ; le médecin est venu aussitôt, nous l'avons couché ; il avait le côté droit paralysé, sa figure n'était pas changée, il avait encore de la connaissance. Je continuerai dans ma prochaine à te donner des détails. Je reçois une lettre d'Alfred qui pense venir nous voir dans un mois environ, il te plaint et espère que tu auras du courage.

- Lettre N° 156 du 4 avril 1917 : Je te disais aussi combien j'ai été peiné d'apprendre la maladie de petit père et je suis d'autant plus inquiet que, depuis ton 243 je n'ai pas reçu de lettre de toi. Il me tarde d'avoir des nouvelles et des détails. J'étais déjà étonné que vous ne parliez plus de votre rentrée à Champagne. Je pressentais donc quelque chose lorsque malheureusement ta nouvelle est venue m'attrister et tu comprendras facilement combien cela est pénible dans ces circonstances, surtout avec ce peu de rapidité dans les communications ; ta lettre me dit bien cependant que le docteur ne parait pas inquiet, mais il me semble que la maladie en question revêt un certain caractère de gravité qui , vu l'âge de petit père, n'est pas sans me tourmenter. Aussi, écris-moi le plus souvent possible pour me tenir au courant, et j'aime à espérer que tu seras à même de me rassurer malgré tout. Je ne te ferai aucune recommandation, je sais trop combien toi et Claire serez dévouées et je pense et souhaite que vos soins attentionnés aient raison de cette épreuve en ce qui me concerne, je suis toujours en bonne santé; le temps passe petit à petit, toujours monotone et je regrette bien d'être si loin de vous

- Lettre du 5 avril 1917 : de sa mère Ton père a donc commencé à être malade le 19-2; après avoir pris de la caféine, il était un peu mieux le lendemain et il absorbait un peu de lait dont la dose augmenta sensiblement additionné de jaunes d'oeufs, cacao, café, kola, il ne pouvait prendre que du liquide, sa gorge était un peu paralysée. Il ne parlait pas, il se faisait comprendre par les gestes de la main gauche et par le regard; il tendait la main aux personnes qui venaient le visiter. Alfred est arrivé le 23-2 et est reparti le 27, ton père continuait à bien boire, mais il lui est survenu un escarre, plaie aux fesses, signe du manque de circulation, d'assimilation qui se produit presque toujours dans ces maladies et que le docteur avait prévu, le coeur faiblit à nouveau, il se nourrit de moins en moins, il fut plus assoupi, abattu. Le prêtre est venu le voir le 20, lui a donné l'absolution et le 13-3 l'extréme Onction, il a rendu le dernier soupir le 14 mars à 3h 1/2 du matin.Marie était restée depuis le 25-2. Nous avons télégraphié à Alfred qui est arrivé le 17. Cher enfant, je déplore cette perte, presque autant pour toi que pour moi, redouble de courage, résigne-toi et sache que je te conserve l'affection de ton père que je ferai revivre par le souvenir, traduisant ses paroles, ses actes et ses désirs. Je me fais une obligation et un devoir de vivre comme s'il était là et de continuer ce qu'il a commencé. Ne t'inquiétes pas de moi, j'ai beaucoup d'occupations qui me font du bien . Alfred m'écrit souvent, Claire est une précieuse compagne? J'attends Marie et Guite.

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