Les occupations du Capitaine sont nombreuses, il est bibliothécaire, il joue au bridge et au Tennis, fait la cuisine, il donne des leçons d'allemand et d'anglais, apprend le russe. Il fera une conférence sur Constantinople. L'ordinaire est assez convenable et Louis ne s'en plaint pas trop recevant d'ailleurs très régulièrement de nombreuses provisions qu'il partage avec ses camarades de table. Le moral des officiers prisonniers est parfait.
Pendant toute sa captivité le courrier échangé avec la famille et les amis a principalement trait au ravitaillement, il fait la liaison entre des amis restés en Turquie et d'autres revenus en France, il peut correspondre avec la Turquie qui elle ne peut le faire avec la France du fait de son alliance avec l'Allemagne. Il reçoit également du courrier de Grèce , de Moscou et de la famille en Belgique occupée... Ce courrier et les colis sont numérotés pour pouvoir mieux y faire référence et en suivre le cheminement. Certaines lettres clandestines sont écrites en caractères minuscules et cachées dans des colis, elles sont signalées à leur destinataire par l'encerclement du N° du colis qui les contiennent.
Certaines nouvelles sont données à mots couverts, exemple : Lettre de son frère Alfred qui est toujours en bonne santé et assez bien dans son nouveau logement ; on lui a offert un petit cadeau en confirmation des compliments. Il faut interpréter: Alfred est satisfait de sa nouvelle affectation et il a reçu une décoration suite à une citation pour les travaux de fortifications qu'il a entrepris et menés à bien.
Un code pénal était appliqué dans les camps.Tout manque de respect ou tentative d'évasion faisaient l'objet d'un passage en conseil de guerre.
Dans ces camps, les allemands
enferment les récidivistes de l'évasion, le Fort
9 entre autre est qualifié de camp de sûreté.
Un lieutenant britannique d'aviation A.J.Evans a écrit
un livre sur le Fort 9 : «The Escaping Club », (le
club de l'évasion).
Il n'y eu jamais de « crabe »
au fort 9.
Le Capitaine Salmon aura comme camarade dans les camps de Szczuczyn, du Fort 9 Ingolstadt et de Wülzburg : le Capitaine de Gaulle, fait prisonnier le 2 mars 1916 au nord-ouest de Douaumont.. (De Gaulle le Rebelle, Jean Lacouture), le capitaine Adolphe Chéron, Roland Garos, Lieutenant Roederer, Lieutenant russe Toukatchewsky, Louis Barthou, Lieutenant Collignon, Lieutenant Colonel Tardiu, Rémy Roure, Berger Levrault, Edouard Lafon, le capitaine Ducret.
Le traitement infligé pendant tout le temps de ma captivité a été mauvais , particulièrement à Szczuczyn (Chtchoutchine), au fort IX et à Wülzburg.
A Szczuczyn
où 37 officiers français avaient été
envoyés en représailles ont été logés
dans une usine délabrée ; le toit laissait passer
l'eau à 10 ou 12 endroits différents. Lits faits
de deux planche disjointes, paillasses de copeaux de bois, pas
de matelas ni de draps, 1 écuelle. 1 lampe pour toute la
chambre ; soupe servie dans des seaux de toilette, (voir les photos
parues en juillet 1917 dans l'illustration) pas de douche ; enfermés
dans la chambre du coucher au lever du soleil ; un baquet placé
dans un coin sert de WC. Une tentative d'évasion ( Cap.
de Gaulle et Lt. Roederer : De Gaulle le Rebelle, Jean Lacouture
) ayant été découverte, le Commandant
du camp infligea une punition collective à tous les officiers
prisonniers de guerre : 3 semaines d'arrêts, 1/2 heure de
sortie le matin et 1/2 heure le soir, privation de tabac, de journaux,
de cantine. Insolence du feldwebel chargé de la surveillance
du camp : il menaça de gifler un officier.
A la suite d'un incident, le Commandant du camp, le major von
Stauckhausen fit rassembler les officiers devant la garde réunie
et fit un discours à ses hommes, les encourageant à
l'assassinat, disant qu'ils n'avaient devant eux "que des
officiers français" et que, par conséquent
il ne fallait pas hésiter à tirer au moindre geste.
Au fort IX camp de représailles et d'évadés, le traitement dépasse tout ce que l'on peut imaginer. Entassés dans des casemates humides, l'eau coulant le long des murs ; charbon, lumière et nourriture en quantités insuffisantes. Les sentinelles, excitées par le commandant du fort, le capitaine Lirsch, tiraient à chaque instant sans aucune raison. Un feldwebel, à l'occasion de la relève, fit tirer 5 coups de feu sur un groupe d'officiers inoffensifs. Le commandant du fort se laissa aller un certain jour, à donner des coups de poing à un officier français, lequel, ayant adressé une plainte, fut traduit en conseil de guerre et condamné à une année de prison ; les témoins de cette affaire furent également poursuivis et encoururent des peines de plusieurs mois de prison. C'est également du fort IX que venait la garde qui assassina le Capitaine Bogino de Saint Maurice (Affaire portée à la connaissance du gouvernement français).
A Würzburg, l'installation matérielle laissait moins à désirer que dans les camps ci-dessus, mais le commandant du camp, le major Niebauer, abusait de son autorité en appliquant des mesures tout à fait arbitraires. Pour ne pas avoir voulu répondre "présent" à l'appel de mon nom, je fus puni de 28 jours d'arrêt de rigueur, dont 7 jours dans l'obscurité la plus complète jour et nuit ; la fenêtre avait été totalement obstruée par un volet plein ne laissant passer aucun filet de jour. Tabac interdit pendant 28 jours, ainsi que la lecture de livres et de journaux ; aucune sortie accordée, pas de douche. A la suite d'une évasion, je fus enfermé 68 jours avec une sentinelle à l'intérieur de ma chambre, et un régime identique me fut imposé, sauf toutefois, que le volet laissait passer un peu de jour par une ouverture de 10 centimètres en haut ; les carreaux de la fenêtre étaient peints en rouge. On me laissa pendant 4 jours sans matelas, avec 2 couvertures seulement et une paillasse, et sans feu par une température de 10 degrés au-dessous de zéro, car je refusais de donner des détails sur mon évasion. On me supprima l'envoi et la réception de correspondance et colis, et j'en fus réduit à la nourriture donnée officiellement par les boches. Dans ce camp je fus traité de voleur par un sous-officier, le feldwebel Steinberger, ceci en présence d'un officier allemand, le lieutenant Stangl qui, par son silence , semble approuver l'attitude insolente de son sous-officier.
A Magdebourg : Camp de sûreté ouvert le 27 juin 1918 pour y effectuer les punitions respectives. Dans ce camp, l'arbitraire règne encore plus que partout ailleurs et les autorités cherchent à créer des incidents. Lorsqu'une punition est infligée, le prisonnier est mené, en ville, à la prison dans une cellule de 1 mètre sur 2 . On y meurt littéralement de faim, les autorités interdisent tout supplément de nourriture. Les punitions suspendent les peines que l'on exécute au camp de sûreté ; elles s'y ajoutent donc, de sorte que certains officiers venus à Magdebourg pour purger des peines de quelques mois s'y voient contrains de rester plusieurs mois supplémentaires.
A ces mauvais traitements matériels dont je ne relate qu'une infime partie s'ajoutait la pression exercée par nos gardiens pour agir sur notre moral ; aucune occasion n'était abandonnée par eux pour nous faire sentir que, désarmés, nous étions les plus faibles, et par conséquent, livrés à eux-mêmes, à leur bon plaisir, sans défense aucune ni recours. Les plaintes adressées à l'ambassade étaient souvent interceptées, et le Général inspecteur des camps du Corps d'Armée donnait comme raison pour la non transmission que les réclamations n'étaient pas fondées. Dans de nombreux cas, les signataires des plaintes étaient punis. Nos correspondances subissaient des retards supplémentaires, selon le bon plaisir du censeur. Les colis étaient souvent pillés, et les officiers boches du camp souriaient lorsque nous nous en plaignions, disant qu'il en était de même en France. Le système de la représaille nous fut continuellement imposé sous les formes les plus diverses. Les accords conclus entre les gouvernements allemands et français au sujet des prisonniers sont restés lettre morte et aucun des articles n'était respecté. Certains commandants de camp, tel à Ludwigshafen, malgré cet accord, punissaient les évadés de 8 mois de prison, alors que l'accord prévoyait un maximum de 2 mois ; le détail était le suivant : 2 mois pour évasion, 2 mois pour absence illégale, 2 mois pour port d'effets civils, et 2 mois pour possession d'argent allemand. Total 8 mois. A Magdebourg, on agit encore plus simplement en plaçant les évadés en prévention dans une cellule pendant plusieurs mois; puis après une prévention de 6 ou 8 mois, l'évadé est puni de 2 mois qui viennent s'y ajouter.
Nota : Le capitaine Louis Salmon aidait ses compagnons pour leurs évasions en fabricant des faux papiers Turcs. Il était le faussaire du comité d'évasion, "The Escaping Club", comme l'écrivis le pilote anglais A.J. Evans, arrivé au Fort IX en novembre 1916. Le capitaine de Gaulle et le lieutenant Tristani en bénéficièrent ainsi que le commandant Catroux.