Février
1908 :
A mon arrivée à Constantinople, j'étais attendu
par deux messieurs qui m'ont accompagné à mon hôtel
puis au bureau où j'ai été très bien
reçu par M. Back ainsi que M. Léopold
Back qui s'est chargé de me présenter aux principaux
employés ainsi qu'à M. Wittelsback. Tout le
monde a été charmant avec moi et Mr Back m'a même
donné des conseils pour apprendre le turc.
Je suis passé dans tous les rayons. Je suis en ce moment
dans les gilets de chasse et ceintures de flanelle mais ne peux
presque rien faire car je ne comprends pas un mot.
Son père qui s'occupe également d'autres sociétés le tient au courant de ses affaires et de ce qui se passe au siège des EOB à Paris.
Mars 1908 :
J'ai fait ta commission à Dumail qui doit écrire
à Constantinople. Monsieur Back est rentré. On parle
confidentiellement du mariage de sa demoiselle.
Mr. Stussi est revenu voir Mr. Orosdi, mais j'étais sorti,
je ne sais donc pas ce qui en est résulté, peu de
chance sans doute. Mr. Royer est enfin parti des Antilles; il
a le toupet de réclamer une indemnité.
Schuitzer va mieux, il est revenu ce jour ; Siederer également
mais il n'est toujours pas fixé pour Sophia. Tu enverras
une carte à Dehaine à Tunis.
Tu souhaiteras le bonjour à tous ces Messieurs que je connais.
j'ai rencontré au bureau
un jeune anglais qui doit partir pour A.O. Il va remplacer Mr.
Gest qui doit remplacer Mr. Buck. Il doit te porter notre bonjour,
et te dire qu'il m'a vu en bonne santé. Mr. Orosdi doit
partir pour Manchester où il a un conseil de l'Anglo-Bulgarian
et dans lequel les K auront certainement la main forcée
pour accepter Siederer.
Est-ce que Mr. Léopold est toujours à Salonique
?
Dans cet extrait de lettre, il apparaît que les EOB ont des antennes dans plusieurs pays et villes en dehors de la France : Angleterre, Antilles, Sophia, Tunis, Manchester, Salonique etc. et bien sur Constantinople. Ces établissements son représentés par des lettres : A.O pour Constantinople, SM pour Smyrne, CR pour Le Caire etc.
Mr. Wittelsback souhaite
le bonjour à son père et a invité Louis à
passer un dimanche après midi chez lui.
Je n'ai pas de place fixe au magasin. Je suis en ce moment aux
essuie-mains, serviettes, couvertures. Les nouveaux bureaux sont
aménagés depuis avant-hier. La nouvelle construction
n'est pas encore achevée. Il reste encore le rez-de-chaussée
à terminer, c'est là que l'on mettra le rayon d'horlogerie
qui en attendant n'a pas assez de place et est dans la poussière.
En général, ici, il n'y a pas mal de fouillis. Il
y a des choses très bizarres. Ainsi il y a des articles,
exactement les mêmes, qui sont vendus dans des rayons différents,
et ce qu'il y a de plus à des prix différents. Mais
c'est comme cela et il parait qu'il n'y a rien à changer.
Je ne dis rien à Mr. Back, car il n'y a que ses idées
qui sont bonnes et il n'aime pas la critique. En ce moment, les
affaires sont calmes, mais cela devrait reprendre d'ici quinze
jours.
Louis est à OA pour se former au métier de commerçant, à son arrivée, il est vendeur. C'est la méthode ancienne, il faut tout connaître dans la maison pour ensuite postuler à un échelon de responsabilité. Il raconte tout ce qu'il fait à son père qui lui donne des conseils.
Avril 1908 :
Ici, (à Paris) la question du jour, c'est la question Siederer.
Partira, partira pas, et ainsi depuis plus d'un mois. Mr. Orosdi
et Mr. Back ont assisté le 31 mars dernier à un
conseil de l'Anglo-Bulgarian tenue à Manchester, et dans
lequel Mr. Orosdi devait forcer cette Cie à exécuter
la décision déjà prise par le conseil d'engager
et de faire partir Siederer. Mr. Orosdi est encore en Angleterre,
il ne doit rentrer que demain soir, mais Mr. Back est revenu de
suite. Interrogé sur ce qui c'était passé
au dit conseil, Mr. Back a répondu évasivement de
sorte que l'on est pas plus fixé que s'il n'avait rien
dit. Mais ce qu'il y a d'extraordinaire c'est que nous avons reçu
ce matin une lettre des Kouj demandant un nouveau crédit
d'une centaine de mille francs. On se demande ce que cela veut
dire, voilà des gens qui n'ont ni livres ni comptabilité,
qui refusent après l'avoir accepté, un comptable
que la Banque et Mr. Orosdi leur proposent, qui sont aux abois,
et qui ont le toupet de demander une augmentation de crédit
à notre Maison dont les propositions leur déplaisent
tant lorsqu'il est question de contrôle ! Vraiment
nous n'y comprenons plus rien et nous attendons avec impatience
la rentrée de Mr. Orosdi. Tu comprends si ce pauvre Siederer
est aux cent coups !
Remercie Mr. Wittelelsbach de son bon souvenir. Est-ce que Léopold
Back s'occupe un peu de toi au magasin. Cherche-t-on à
t'instruire et à te mettre au courant ? Je souhaite que
tu fasses le nécessaire pour réussir. As-tu assisté
au sélamlich ?
Juillet 1908
:
En ce qui concerne les affaires cela me va de moins en moins et
je commence à en avoir assez d'être ici. Comme je
te le disais dans ma dernière lettre, je n'ai jamais su
ce que l'on pensait de moi et l'on ne m'a jamais conseillé
d'aucune façon ni même parlé et si au commencement
je questionnais un peu ces messieurs, j'ai dû cesser de
le faire par la suite, voyant de quelle façon l'on me recevait.
On cherche à tout me cacher. Lundi matin, sachant que madame
Back était rentrée de voyage, je suis allé
trouver Monsieur Back pour prendre de ses nouvelles. C'était
tout naturel il me semble, et bien c'est tout juste s'il m'a répondu!
Le lendemain je suis resté dans le bureau peut être
3/4 d'heure, à chercher dans la correspondance, à
lire des lettres, enfin à chercher à me renseigner.
Monsieur Léopold entrant dans le bureau s'est retourné
pour voir ce que je faisais, mais ne m'a rien dit, et, après
à chaque instant il passait dans le bureau pour voir si
j'y étais. Il avait l'air préoccupé de ce
que je cherchais dans la correspondance ; je regardais à
ce moment la comptabilité. Naturellement il ne me dit pas
un mot. Enfin je sentais qu'il y avait quelque chose et je me
doutais bien qu'il faudrait qu'il y ait explication un jour ou
l'autre. Or cela s'est produit hier matin.
Je t'ai dit que monsieur Léopold m'avait autorisé
à prendre le même bateau que son frère, matin
et soir,. J'arrivais donc au magasin 25 minutes après l'ouverture
et quittais le soir une 1/2 heure plus tôt. C'était
tout à fait régulier puisqu'il m'y avait autorisé.
Or, hier, monsieur Back me fait appeler dans son bureau, où
se trouvait monsieur Wittelsback et Fralun, et il me demande à
quelle heure je venais ; Je lui expliquai ce qui précède
mais il ne voulu rien croire et il prétexta que jamais
monsieur Léopold ne me l'avait autorisé ce qui est
absolument faux. Je lui dis donc que je prendrai le bateau précédent.
J'ai remarqué que cette histoire de bateau n'était
qu'un prétexte car, lorsque j'étais pour quitter
le bureau, il se met à crier et à dire : «Eh
puis, qu'est-ce que vous êtes venu faire ici ? qu'est-ce
que vous croyez ? Vous ne fichez rien du tout du matin au soir
et vous vous promenez du matin au soir la cigarette au bec et
les mains dans les poches, ou bien vous lisez des romans »
Tu comprends si j'ai été surpris d'une telle sortie
!! Où a-t-il pu aller chercher tout cela ! Où a-t-il
vu que je lisais des romans ? Cela est un peu violent. Je n'en
croyais pas mes oreilles. Lire des romans !! Où a-t-il
vu cela ? Il aurait pu trouver mieux. Moi qui fait mon possible,
qui m'occupe à droite et à gauche, enfin qui cherche
à me rendre utile, voilà que pour la première
fois qu'il me parle, c'est sur ce ton là, et pour me dire
des choses qui ne sont pas. Il m'a dit aussi : «Qu'est-ce
que vous avez à contrôler les livres. Qu'avez-vous
à regarder là dedans ? » Enfin un tas de choses
dans ce genre là. Tu vois donc qu'ils n'ont nullement l'intention
de me mettre au courant de ce qui se passe ici et qu'au contraire
il a l'air de craindre que je cherche dans les livres. Pourquoi
? C'est bien simple, tu connais leur système, ils l'appliquent
ici comme ailleurs. Ils ne veulent pas que quelqu'un d'autre,
que les leurs, viennent les embêter.
Naturellement, je ne suis pas du tout senti disposé à
accepter ces observations sans rien dire et je ne lui est pas
caché ma façon de penser. Je lui ai dit que, si
lui se demandait ce que j'étais venu faire ici, je pouvais
me poser la même question, car jusqu'ici, l'on n'avait cherché
qu'à me mettre des bâtons dans les roues, l'on ne
m'avait jamais conseillé, ni dit si ce que je faisais était
bien ou mal. Que s'il avait trouvé mauvaise ma façon
de faire, il n'avait qu'à m'en faire l'observation. Enfin
je ne lui ai dit que des choses justes et cela très poliment,
ce qui a eu l'air de le vexer. De plus je lui ai dit : que Mr.
Orosdi m'avait envoyé ici pour travailler et que l'on devait
s'occuper de moi. Or c'est ce que l'on n'a pas fait. Alors, il
s'emballa et dit que Mr. Orosdi n'était rien ici et que
c'était lui le maître ! Enfin il finit par ne plus
savoir quoi dire, si bien que la question en est restée
là et que je suis parti. Messieurs Wittelsback et Fralun
n'avait pas soufflé mot.
Quelques temps après, Fralun est venu me trouver et il
a eu l'air de m'approuver. (Je dis "il a eu l'air" car
qui sait ce qu'il pense ? ).
Pour résumer, tout cela montre bien que jusqu'à
présent ils n'ont eu que de l'antipathie pour moi et qu'il
ne cherchent qu'une chose, c'est de m'empêcher de faire
quoi que ce soit. Il est bien clair qu'avec des idées pareilles,
ils ne me pousseront jamais et que j'attendrai longtemps de l'avancement.
Pendant l'entretien, j'ai eu l'intention de leur dire que j'allais
retourner à Paris, mais j'ai pensé à te consulter
avant pour que tu ne puisses rien me reprocher. Voici : mon idée
est qu'il n'y a rien à faire pour moi ici tant que les
Back régneront. J'ai l'intention d'écrire à
Mr. Orosdi pour lui dire que jusqu'ici on n'a rien fait pour me
mettre au courant des affaires, contrairement à ce qu'une
lettre à A.O avant mon départ ordonnait ; qu'au
contraire on me cherche des ennuis et qu'il ne m'est pas possible
de rester ici. Je lui demanderai alors s'il veut m'envoyer dans
une autre maison soit à Smyrne ou Beyrouth, etc. Si non,
je me verrais obligé de le prier de me faire rentrer. Voilà
dans quel sens je pourrai lui adresser ma lettre. De toute façon,
je ne veux plus rester ici, à aucun prix ; c'est contre
mon intérêt et j'y perdrai du temps. J'attendrai
cependant jusqu'à ce que tu sois nommé commissaire
pour écrire à Mr. Orosdi et que tu me dises ce que
tu en penses.
Dans cette longue lettre
apparaît l'amertume ressentie par mon père. Il a
été envoyé à Constantinople pour être
initié au fonctionnement de la succursale mais il s'aperçoit
que sa présence gène. Il se trouve dans une succursale
où tout les responsables travaillent en famille. On peut penser qu'il y a des
choses pas très claires et ces messieurs craignent qu'elles
soient découvertes. Par exemple, pourquoi certains articles
sont dans plusieurs rayons à des prix différents
? je pose la question.
Des Orosdi Back sont a Paris au siège de la Cie. et
les Orosdi Back en Turquie ne semble pas vouloir être commandes
par ceux de Paris.
Maintenant je me demande s'il
ne serait pas préférable de quitter de suite , complètement,
les EOB, car, si si Mr. Orosdi m'envoyait autre part et qu'un
jour Mr. Joseph Back devienne Directeur Général,
il pourrait me supprimer et il serait un peu tard pour me retourner.
De plus si c'est pour rester à l'étranger ce ne
pourrait être que sous bonnes conditions ; or ce n'est pas
le cas actuel. Il faudrait donc que je sois sûr de pouvoir
arriver à quelque chose dans une autre succursale, si non
mon parti est bien pris de rentrer !
Je t'ai demandé de m'envoyer 2 circulaires ; ce n'est pas
la peine, il y en a ici et Mr. Wittelsback m'en a donné.
Ce que je trouve drôle, c'est qu'on ne me les avait jamais
montrées. Pourquoi ? J'ai demandé à Mr. Léopold
si on avait reçu ces circulaires et sur sa réponse
affirmative, comme il avait l'air surpris que je ne le sache pas,
je lui ai dit que je ne pouvais pas le savoir, personne ne m'en
ayant parlé. Cela te montre encore une fois l'esprit qui
règne ici.
Avant hier matin Mr. de Back étant venu dans le rayon où je me trouvais m'a demandé si cela allait bien et si je commençais à être au courant des chaussettes ; puis il m'a un peu parlé des prix. Enfin j'ai cru remarquer un changement à mon égard. Aurait-il reconnu qu'il avait tort de me traiter comme il l'a fait jusqu'à présent ? Ou bien se serait-il plaint à Mr. Orosdi qui lui aurait répondu de s'occuper de moi ? C'est peu de chose, cela montre une autre façon d'agir. Enfin je verrai par la suite ce qu'il adviendra. Deux ou trois fois, me trouvant au débarcadère avec Léopold, il m'a offert sa voiture pour rentrer chez moi ! Il me cause un peu plus. Je vais changer de rayon la semaine prochaine. Je suis toujours d'avis d'écrire à Mr. Orosdi.
Quand quitteras-tu définitivement les EOB ? Ils doivent être en effet bien embêtés pour te remplacer car ils ne s'attendaient pas à ce que tu les quittes si tôt. Tu as bien fait de donner congé.
Août
1908 :
Je me suis plaint à
Mr. Léopold de ce que notre facteur n'avait pas affranchi
mes lettres à plusieurs reprises, mais il n'a pas eu l'air
d'y faire attention. Est-ce que les rapports sont imprimés
et en a-t-on envoyé ici ? Ici, personne ne m'a rien dit
; comme cela je n'ai pas été embarrassé pour
répondre.
Je suis heureux de voir les bonnes dispositions de Mr. Back pour
moi. Il eut été préférable que Mr.
Orosdi sache ce que Back me demandait, avant son arrivée
ici. Je n'écris pas à Mr. Orosdi et j'attends tes
instructions. Cela serait très bien si je pouvais aller
à Smyrne. Je crois qu'ici on commence à oublié
l'incident en question. Mr. Back m'a adressé la parole
une autre fois ; cela m'étonne . Mais attendons ! Je crois
que ce qu'ils auront surtout à me reprocher, c'est d'être
français ; cela doit les gêner. Fralun est en congé
ici pour 15 jours. Il fait si chaud que j'ai bien envie de demander
une dizaine de jours pour me reposer. Fralun me l'a conseillé
et je ne pense pas que cela me soit refusé.
Quant à mon changement,
ce n'est pas encore fait et je vais attendre Mr. Orosdi.
Petit père a vu Mr. Buck, directeur de Smyrne, qui était
de passage à Paris. Il a été à Manchester
et a vu Mr. Ray qui lui a donné de bon tuyaux sur moi.
Il a dit à père qu'il demanderait à Mr. Orosdi
de m'envoyer à Smyrne. Ici, on me fait un peu moins la
tête qu'avant, c'est sans doute parce que je ne me suis
pas laissé faire, mais ce n'est pas franc. C'est dommage
que je ne sois pas mieux aux EOB d'ici car j'aurais bien voulu
rester à Constantinople, le pays est si joli !
Septembre : Il règne ici une maladie terrible : celle des grèves. Depuis la constitution nous en avons eu je ne sais combien ! les tramways (2 fois) la Régie des tabacs, les portefaix de la douane, les mines d'Héraclée, les chemins de fer d'Anatolie qui a duré 4 à 5 jours puis ceux nous reliant à Vienne 4 à 5 jours aussi ! Cela devient assommant. Nous avons été plusieurs jours sans courrier. Le conventionnel ni l'express ne marchaient et depuis que le service est rétabli il y a encore beaucoup de retard. Cette dernière grève a fait naître un incident avec la Bulgarie qui veut profiter de l'occasion pour s'approprier le tronçon passant chez elle. Après la grève, le premier train venant de Constantinople fut arrêté à la frontière. Avec ce pays il y a aussi l'affaire Gueschoff.
Maintenant, le plus beau, c'est la grève des EOB. ici, et à Salonique.
La grève a été
déclarée hier chez nous et d'une façon assez
bizarre. A l'heure qu'il est, cela dure encore et l'on ne sait
pas comment cela va finir. Depuis quelques jours, il régnait
un mécontentement général chez nous et on
se doutait que quelque chose allait se passer. La grande faute
de la direction est de ne pas avoir su prévenir cette grève.
Hier matin, un avocat délégué par tous les
employés présente à Mr. Back une pétition
signée par 165 employés et imposant des conditions
extraordinaires. Ils réclamaient des augmentations de salaire
de 40, 30 et 20% ; une gratification d'au moins un mois de salaire
par an ; une augmentation d'une livre tous les 2 ans ; 15 jours
de congé par an avec la faculté de les reporter
pendant 3 ans ; fêter toutes les fêtes catholiques,
turques, arméniennes, grecques, etc... ; ne renvoyer aucun
employé à moins que les intérêts de
la maison soient lésés. Ce dernier paragraphe est
un peu fort.
Mr. Back avait laisser entendre il y a quelques semaines que si
ses employés voulaient faire la grève il les ficherait
tous dehors, ceci les surexcita d'autant plus. C'était
en effet une parole bien imprudente et lancée à
un mauvais moment. Ensuite, la semaine dernière, un employé
ayant demandé à Mr. Léopold un acompte de
2 livres sur son mois, se vit rudement refuser cette avance. L'employé
le quitta après une discussion très violente au
cours de laquelle M. Léopold s'emporta outre mesure. Ceci
n'aurait pas dû se produire, car c'était engager
les employés à se mettre en grève.
Donc, lorsque Mr. Back eût lu la pétition il sorti
de son bureau furieux, et comme un fou, la pétition à
la main se mit à parcourir tous les rayons en criant :
avez vous signé ? Eh bien si vous n'êtes pas content
vous pouvez vous en aller et je fiche les autres à la porte
». Quelle triste impression cela produisit tu t'en doute
bien ! Naturellement en moins de 5 minutes le magasin était
vide et tous partirent de suite, puis se rassemblèrent
devant la maison et applaudirent lorsque l'on ferma la devanture.
C'était donc fait et il n'y avait plus à revenir
sur la faute de Mr. Back de s'être emballé comme
cela. Il aurait dû ne rien dire sur le moment, puis après,
discuter avec une délégation pour tâcher d'arriver
à une entente convenable. C'est ce que tout directeur sensé
aurait dû faire. Mais lui a agi comme s'il était
à son propre compte et n'a pas songé un seul instant
qu'il était responsable envers une société
et qu'en somme lui-même était un employé.
Une fois le magasin fermé, il était là courant
comme un fou, ne sachant plus au juste quoi faire. Il prétendait
faire marcher l'affaire sans employés et affirma que l'on
ne reprendrait personne.
Ce n'est qu'environ 1/2 heure après qu'il reconnu qu'il
avait mal agi. Mais c'était trop tard. Après beaucoup
de discussions, on envoya 2 employés, non grévistes,
auprès des autres pour essayer de les faire rentrer promettant
d'étudier la situation. Mais ils ne voulurent pas accepter
et dirent qu'ils ne rentreraient que si toutes leurs revendications
étaient acceptées. Il n'y a que les vendeurs qui
sont en grève ; le bureau, les caissiers et contrôleurs
n'ont pas bougé. Mr. Wittelsback aussi s'est emporté
sur le premier moment, mais il n'a rien fait pour empirer la situation.
Il a été plus ferme que Mr. Back et il a même
essayé de le calmer.
Il faut dire que cela s'est passé en moins de 5 minutes
et il aurait été absolument impossible d'éviter
le conflit vu le caractère de Mr. Back. Il n'aurait écouté
personne sur le moment. Toute la journée s'est passée
à discuter de la chose et à dire et redire toujours
que c'était le premier coup qui avait mal porté.
Peut-être Mr. Back avait-il pensé les intimider,
mais cela n'a pas pris.
Il est évident que si la grève provient de la façon
d'agir de Mr. Back, il faut aussi reconnaître que les employés
ont aussi très mal agi. Ils sont en général
assez bien payés et ne sont pas à plaindre. Ceux
qui n'étaient pas content n'avaient qu'à aller trouver
Mr. Back.
Paris à l'heure qu'il est n'est pas encore prévenu.
Nous avons envoyé un délégué aux employés
et nous attendons la réponse. Ils ne veulent même
pas déléguer quelques uns des leurs pour discuter.
Nous allons donc être obligés d'accepter ou de fermer
et comme en ce moment c'est la meilleure saison, nous ne pouvons
fermer sans causer un grave préjudice à la maison.
Nous perdons 2000 livres par jour; Je viens de demander à
Mr. Back ce qu'il a décidé et il n'en sait rien
lui-même. Il est évident que si nous reprenons tous
ces gens à leurs conditions imposées, nous ne serons
plus les maîtres chez nous;. Ils feront la loi. Ce matin
il voulaient empêcher des marchandises de sortir, mais ils
n'ont pas réussi.
Nous avons un cavas (sorte
d'agent de police) du consulat de France, pour nous protéger,
ainsi que la police d'ici qui est autour du magasin. Il parait,
et c'est vrai, que l'on a menacé des employés au
revolver s'ils ne signaient pas la pétition. Depuis, les
employés menacent de créer des troubles si l'on
engage des remplaçants. La situation est donc très
tendue et difficile à résoudre. Dire que si Mr.
Back ne s'était pas emporté comme cela on aurait
peut-être pu arranger les choses ! Les employés profitent
de cette situation et se sentent forts disant qu'ils ont été
chassés. Nous ne nous sommes pas gênés, après
coup pour dire à Mr. Back qu'il avait mal agi. Il est très
ennuyé et cela se comprend. Il a dit qu'il n'avait pas
dormi de la nuit. Depuis ce matin, nous passons le temps à
discuter pour en revenir toujours au même résultat,
c'est à dire le manque de tact qui en est la cause. Mr.
Wittelsback m'a dit que si nous acceptions , cela augmenterait
nos frais généraux de 100.000 Francs par an. Enfin,
il n'y a qu'à attendre. A l'heure qu'il est rien n'a avancé.
Léopold et Fralun doivent arriver seulement demain matin
à SA et je me demande comment ils vont s'arranger. Il paraît
que SM vient de se mettre en grève aussi. Les Chemins de
fer ont repris avant hier soir.
Ma lettre est un peu décousue, mais je suis aux aguets. Mr. wittelsback m'a demandé si tu étais rentré à Paris et j'ai répondu que tu étais encore au bord de la mer.
1 heure : je reviens de déjeuner. La situation est toujours la même et on tient ferme des 2 côtés. On a télégraphié ce matin à Paris et l'on attend la réponse. Les employés ne veulent toujours entamer aucune discussion. Cette lettre va partir par l'Express Orient et je vous tiendrai au courant de la marche de la grève.
Notre grève continue
toujours. Pendant les 2 premiers jours les grévistes ont
absolument refusé d'entrer en pourparlers. Paris a approuvé
le renvoi des employés nous disant d'en prendre de nouveaux
et ne rien accepter des revendications des autres. Depuis mardi
nous sommes fermés. Les employés des bureaux, les
caissiers, les contrôleurs et les 3 chefs de rayons travaillent.
Nous venons chaque jour et passons notre temps au magasin à
causer et attendre les événements. Mr. H. Back qui
se trouve en Allemagne télégraphia pour demander
si sa présence était nécessaire. On décida
de le faire venir, puis le lendemain on le décommanda.
La chose était donc nette ; les instructions de Paris étaient
très catégoriques et il n'y avait pas à hésiter.
Du reste Mr. Back était aussi de cet avis lorsque, les
grévistes ayant été informés se décidèrent
tout de même à envoyer une délégation.
Nous avons chez nous un employé qui s'occupe de la Société
du Fez et qui n'a pas fait grève. Cela n'est qu'une ruse
de sa part, car il est resté chez nous pour prendre en
mains les intérêts des grévistes. Ce monsieur
a été, dimanche dernier, nommé président
d'une nouvelle société des employés de commerce.
C'est un très beau parleur et il a si bien causé
qu'il a fini par persuader Mr. Back. Donc lorsque l'on a entamé
les négociations, il a réussi à le faire
fléchir et Mr. Back a pris la grande responsabilité,
malgré les instructions de Paris, d'accorder aux employés
25, 20 et 10% d'augmentation, et que si ils ne reprenaient pas
le travail le lendemain matin à ces conditions, ils seraient
définitivement congédiés.
Or, le lendemain , personne ne s'étant présenté,
Mr. Back prenait ses dispositions pour engager de nouveaux employés,
lorsque ce Monsieur en question, renforcé par un négociant
de Fez plus Mr. Husserl, l'ancien directeur de SA. vinrent encore
intercéder en la faveur des grévistes. Mr. de Back
céda encore une fois et le soir même, on télégraphia
à Paris qu'après de longues délibérations
les grévistes rentreraient aux conditions suivantes : 35,
25 et 12% d'augmentation, fêter toutes les fêtes religieuses
: catholiques, musulmanes, juives , arméniennes, etc ,
augmentation dans 3 ans et en suite tous les 2 ans suivant le
mérite de l'employé ; aucun renvoi pour cause de
grève ; renvoi seulement dans des cas de vols, indiscipline
incapacité, etc.
Je me suis demandé pourquoi
Mr. de Back acceptait de telles conditions si onéreuses
pour les EOB et surtout pour le prestige de la maison, mais j'ai
cru comprendre qu'il avait fait ainsi pour dégager sa responsabilité
d'avoir accepté 25, 20 et 10% malgré les instructions
de Paris, espérant que le conseil refuserait. Voilà
où en sont les choses. Hier nous avons passé la
journée à attendre la réponse de Paris qui
n'est pas arrivée. Nous aurons donc la nouvelle demain
matin en descendant en ville.
Demain doit arriver par l'express de Paris, Mr. de Back. Nous
avons passé une annonce dans les journaux, pour prendre
de nouveaux employés et nous avons déjà 150
réponses. Nous ne prévoyons pas d'arrangement à
l'amiable, car cela serait désastreux pour la maison. Nous
allons très probablement être obligés d'ouvrir
avec de nouveaux employés et la vente s'en ressentira.
Depuis le début de la grève nous perdons une vente
journalière de 2.000 à 2.500 livres turques. Les
grévistes ont parait-il prêté serment entre
eux de ne pas céder et d'empêcher les nouveaux employés
de travailler. Il pourrait donc se faire qu'il y ait des troubles.
Il y a bien la police, mais elle est si minime ! Enfin nous allons
bien voir ce qu'il va advenir et comment la situation va se régler.
Finalement, on trouve que Mr. Back a montré de la faiblesse,
qu'il n'aurait pas du se départir des instructions de Paris,
car si jamais Paris accepte les dernières conditions, nous
ne serons plus les maîtres chez nous, et les arméniens
et grecs, se vanteront d'avoir fait baisser pavillon à
une maison française. Et puis il n'y aura pas de raison
pour que cela ne recommence pas une autre fois, puisque nous avons
cédé et accepté de ne renvoyer personne pour
faits de grève, les employés dirigeront. Cela va
être une anarchie complète. On aurait dû s'en
tenir à la première décision et renvoyer
tout le monde. Certainement que 75% seraient revenus et nous les
aurions repris. Le magasin aurait souffert pendant quelques mois,
mais nous aurions rattrapé cela. A un moment donné,
Mr. Back avait dit que l'on fermerait plutôt pendant 3 mois
que de céder, mais il a souvent changé d'idées
par la suite. Il ne faut pas oublier que nous sommes une des maisons
qui payions le mieux de la place. Il y a beaucoup d'employés
qui chez nous touchent de 12 à 17 livres turques. Ils n'ont
donc aucune raison de se plaindre surtout qu'ils touchent comme
minimum de gratification , le mois double.
Mr. Back, son frère Jacques, le frère de Léopold et moi avons commencé à mettre les rayons en ordre car les employés avaient tout mis en l'air. Ils ont caché les prix courants, livres de commandes, inventaires et ont tout bouleversé avant de partir. Il parait que SA est toujours en grève et l'on prétend qu'ils se seraient solidarisés avec ceux d'ici.
Mr. Morgenstern directeur de
Beyrouth est ici depuis 3 jours Il est très gentil. Nous
avons causé de la grève et il est d'avis que Mr.
Back n'aurait pas dû faiblir et que le mieux était
de prendre un nouveau personnel.
Mr. Morgenstern m'a demandé si je voulais aller à
B.T. mais tout en le remerciant je lui ai dit que je devais attendre
les instructions de Mr. Orosdi qui m'avait envoyé ici en
attendant.
Ces événements de la grève ont été relatés dans un journal de l'époque archivé à Istanbul.
Aucune réponse de Paris.
Mr. H. de Back arrive demain. Nous avons fait annoncer par les
journaux que nous acceptions des employés pour nos rayons
de vente. Nous sommes toujours fermés. Mr. de Back conserve
toujours son idée de prendre un nouveau personnel et ceux
des anciens employés qui se présenteront seront
acceptés.
C'est donc lorsque Mr. H. de Back sera là que se réglera
définitivement la question.
Octobre 1908
:
La grève s'est terminée
mardi dernier après avoir duré 2 semaines. Nous
avions donné un ultimatum aux employés et nous considérions
tout terminé puisqu'ils n'étaient pas revenu le
vendredi. Nous avions commencé à travailler avec
une quinzaine de nouveaux employés le samedi matin. Le
soir nous fûmes assiégés et il nous fallut
la police et une patrouille armée pour nous protéger
et nous conduire de l'autre côté du pont. C'est que
l'on craignait les représailles des grévistes de
plus en plus menaçants. Quelques non grévistes ont
été attaqués. Mr. Hermann de Back, aussitôt
arrivé de Paris avait eu une entrevue avec l'avocat des
grévistes et avait refusé de revenir sur la décision
du conseil d'administration. Il avait été voir les
ministres de la Justice, du Commerce, le grand Vizir et le Comité
Jeunes Turcs. Tous avaient promis leur assistance disant qu'ils
feraient protéger la liberté du travail. Le samedi
nous avions beaucoup d'agents de police dans le magasin. On avait
mis les employés de bureau dans les rayons et on commençait
à s'en tirer assez bien.
Nous avions fait arrêter 4 ou 5 des meneurs, dont 2 avaient
attaqué le chef de rayon de la soierie, mais ils furent
relâchés sous prétexte que nous sommes maintenant
sous le régime de la Liberté. Hein, c'est joli !
De plus le lundi soir, lorsque la police partit elle annonça
qu'elle ne reviendrait plus. Il y a eu un revirement au Comité
des Jeunes Turcs et l'opinion publique était contre nous.
Nous nous trouvions alors sans protection devant les grévistes
de plus en plus menaçants et c'est ce qui a fait changer
les directeurs d'idée. Les négociations reprirent
et tout se passa comme un mystère. A midi ils rentrèrent
en procession drapeaux en tête, acclamant Mr. de Back. Depuis
nous faisons beaucoup d'affaires, c'est la pleine saison. Ils
ont obtenu 25, 15 et 5% d'augmentations suivant les salaires.
Puis si pendant 1 an nous renvoyons un employé sans motif
valable, nous lui devront une indemnité d'une année
d'appointements. Ces conditions sont assez acceptables, elles
sont moindres que nos propositions antérieures. Je pense
que dans un an, nous nous débarrasserons des meneurs. Par
contre la grève dure toujours à Salonique.
Maintenant que la question grève est finie, nous avons
la question politique qui nous tracasse et samedi nous avons été
victimes de boycottage des marchandises autrichiennes. Beaucoup
s'imaginent que notre maison est Autrichienne parce que les directeurs
le sont. Nous avons hissé le drapeau Français. Samedi
la foule n'a cessé de stationner devant le magasin et les
clients entrant étaient menacés. Nous avons prévenu
la police et l'ambassade qui nous a envoyé un cavas. Ce
matin nous protestons dans les journaux turcs et le boycottage
a l'air d'être fini pour nous.
Février
1909 :
Félix Salmon, le père de Louis lui écrit
longuement ce jour là pour le mettre au courant des diverses
affaires dont il s'occupe en dehors des E.O.B. et dans lesquelles
sont monsieur Baratoux et d'autres personnes des E.O.B. Il explique
également la façon un peu trop cavalière
avec laquelle les E.O.B. et Monsieur Baratoux en particulier ont
réglé son départ de la société
12 août 1908.
Pour mémoire je cite ces sociétés où
il exerce les fonctions de commissaire aux comptes : L'hôtel
Régina à Biarritz, la mine de Sagne, les mines de
la Bidassoa, la fabrique de cycles Cottereau à Dijon, les
mines du Louron, les Stations hivernales de Tunis, les cinématographes
Théophile Pathé à Paris, les fleurs Vaillant
Razeau, son entreprise de l'île d'Yeu, l'entreprise Cachon
qui a construit sa maison de Champagne sur Seine.
Le mercredi précédant
il est allé au siège de la société.
Il a été bien reçu et on lui a demandé
des nouvelles de Louis.
Mr. Orosdi est en Angleterre et Back à Monté-Carlo.
Il parait que les gratifications et les augmentations n'ont pas
été brillantes. "On a été plus
rat que jamais". On a fait une crasse à Mr. Wittelsback
on lui a retenu 4 000 Fr. sur ses derniers tantièmes et
c'est cela qu'on lui offrira comme gratification en fin de services.
Après 30 ans, c'est maigre. On lui a dit aussi que Jacques
Back est employé dans un rayon avec des appointements très
minimes et que Mr. Orosdi n'en veut pas.
Mr. Siederer est toujours là mais il n'ira sans doute jamais
en Bulgarie. Les Kouymoudjian se sont fichu de Mr. Orosdi. En
voilà qui n'ont pas voulu baisser la tête et qui
n'ont pas hésité à balancer Jacques Back,
et à refuser de prendre l'homme de Mr. Orosdi.
Mars 1909 :
J'ai été augmenté,
mais je trouve que l'on a pas été très large
avec moi. Enfin, j'attends encore car je préfère
passer l'été ici, c'est si joli !
Avril 1909
:
A cause des troubles politiques, ce matin tout est encore fermé.
Les EOB sont les seuls ouverts. Ils fermeront à 10 heures
n'ayant rien à faire.
Mai 1909 :
Les événements politiques, ont provoqué des
pertes dans les affaires. Il est impossible que la Société
ait eu 400 000 £t de pertes à Adana. C'est d'après
Léopold une simple agence qui n'a que des échantillons.
Elle dépend de Smyrne. Une réclamation a été
adressée à l'ambassade, mais rien ne dit que la
société sera remboursée.
Les affaires commencent à reprendre. Monsieur Wittelsback
a quitté le bureau fin avril mais il n'a pas encore quitté
Constantinople.
Fralun m'a dit qu'Orosdi devait venir fin septembre et qu'ils
iront ensemble au Caire où il resteront plusieurs mois
pour l'installation.
La maison de la Chaux de Fonds est supprimée depuis 5 à
6 semaines. On est en train de liquider et Mr. Motet restera là-bas
comme acheteur.
L'inventaire auquel j'ai travaillé est terminé.
La question de son salaire et de sa position dans la société EOB sont toujours le sujet délicat des correspondances avec son père.
Septembre 1909
:
Je te conseille de discuter sérieusement avec Mr. Orosdi
qui doit venir bientôt à Constantinople. Il ne faut
rien brusquer. En effet, il peut se faire que tu sois obligé
de rester quelques mois à Constantinople. Tu sais bien
qu'en principe nous sommes d'accord, il n'y a que sur la question
de forme que nous pourrions différer d'avis. Par exemple,
il ne faut rien brusquer. Je crois que tu dois attendre l'arrivée
de Mr. Orosdi pour lui causer sérieusement ; tu lui diras
notamment que ce n'est pas la peine de rester exilé en
Orient pour y gagner péniblement 300 fr.. que tu peux les
avoir soit en Allemagne soit en Angleterre et même à
Paris, mais que tu ne demandes pas mieux que de rester aux EOB.
si tu es assuré d'avoir accès à l'état-major
de la Société, à des conditions avantageuses
qui compensent les désagréments et la cherté
d'un séjour prolongé à l'étranger.
Tu lui diras aussi que tu ne peux plus y vivre et y représenter
convenablement les EOB à moins de 500 fr.. dès maintenant.
Tu verras ce qu'il te répondra, et, surtout ne casses pas
les vitres. En effet, il peut se faire que tu sois obligé
de rester quelques mois à Constantinople. Je te le répète,
il ne faut rien brusquer. Je tiens à rester en bon termes
avec Mr. Orosdi et Mr. Back et si tu faisais quelque chose pour
les indisposer ils pourraient m'en vouloir, mais rassures toi
cela n'ira pas jusqu'à compromettre ta situation. Dis lui
aussi que tu n'as pas pu arriver à couvrir tes dépenses
et que je deviens de plus en plus difficile pour te faire des
avances, que tu dois te suffire seul.
Son père lui conseille d'attendre avant de décider s'il doit rentrer en France.
C'est la pleine saison et Louis est débordé de travail au magasin.
Mr. Orosdi est parti pour l'Orient,
il débute par le Caire. Il ne pensait pas aller en Turquie
mais comme il est avec Mr. Fralun il ira sûrement à
Beyrouth, Smyrne, Salonique, Constantinople, Vienne et Paris.
L'installation nouvelle du Caire peut lui prendre un peu plus
de temps.
Tu n'as plus longtemps à attendre pour être fixé
sur ses intentions à ton égard. Tu avais parlé
de passer une année soit en Espagne soit en Italie. Es-tu
toujours dans les mêmes intentions ? Alors, il ne faudrait
pas quitter les EOB avant d'avoir une place dans l'un de ces pays.
Tu sais que les EOB ont beaucoup d'acheteurs en Allemagne. Si
Mr. Orosdi ne te donnait pas satisfaction pour A.O ou pour une
de ses succursales, est-ce que tu ne pourrais pas te faire envoyer
dans un bureau d'achats en Allemagne ou en Autriche. As-tu gardé
des relations avec Buck de Smyrne ? Si Mr. Orosdi t'envoyait là
comme second ou même 3e avec de bons appointements qu'en
dirais-tu ?
Ne te figure pas que je puisse faire quelque chose pour toi, dans
un sens ou dans l'autre,. Il n'y faut pas compter. Je ne veux
plus rien leur demander, ni à l'un, ni à l'autre
et je veux si l'on te garde que ce soit à cause de toi
et non à cause de moi.
Quelle que soit la solution qui interviendra cela ne sera toujours
que du provisoire car avec eux il ne faut pas s'engager sans contrat
Cependant tu dois toujours faire comme si tu devais rester indéfiniment,
parce que c'est le seul moyen d'obtenir quelque chose. Si ta situation
est améliorée pour quelques mois seulement, cela
sera toujours autant de pris.
Décembre
1909 :
Il faut attendre Mr. Orosdi,
ou venir le voir s'il ne va pas à Constantinople.
Le comportement de la direction des EOB de Constantinople est toujours le même à l'égard de Louis on l'empêche toujours de se mettre au courant de la marche de la maison et le réajustement de son salaire ne se fait pas.
Février
1910 :
Je réponds à tes questions. Jusqu'à présent,
comme travail aux EOB, je ne faisais pas grand-chose, mais je
tâchais de m'employer à droite et à gauche
comme tu as dû le lire souvent.
Or, un changement est intervenu en ma faveur. Mr. Back (d'ici)
est allé au Caire où il a rencontré Mr. Orosdi
qui lui aura très probablement causé de moi, car
à son retour, il m'a donné de nouvelles instructions.
Il m'a dit que dorénavant je ne devais plus le quitter
pour pouvoir me mettre complètement au courant et arriver
à faire la même chose que lui. Depuis, il est très
gentil avec moi et nous causons ensemble, ce qui n'était
jamais arrivé auparavant. Ceci les a fort intrigué,
car ils comprennent qu'Orosdi me pistonne et ils supposent que
je lui ai écrit pour me plaindre. Au point de vue moral,
j'ai donc obtenu satisfaction. Il ne reste donc plus que la question
pécuniaire, et c'est certainement le plus important; ceci
ne pourra être réglé que par Orosdi, mais
je doute fort qu'il marche car je serai très exigent, ne
voulant pas rester ici sans avantages. Il n'y a eu aucune augmentation
et les gratifications ont été réduites. Je
touche actuellement 13 £t et en ai reçu 12 comme
gratification. Il y a eu beaucoup de mécontents. Il serait
bien difficile de te décrire mon travail, attendu que je
dois m'occuper un peu de tout, et, ici, c'est assez compliqué.
en somme, je suis, à l'heure actuelle : "Attaché
de Direction".
La langue que j'emploie est surtout le français, puis beaucoup
de turc, un peu d'allemand et d'anglais. On parle aussi beaucoup
le grec, je le comprends un peu mais ne le parle pas.
Avril 1910
:
Depuis la visite d'Orosdi,
je suis toujours indécis et j'en suis encore à me
demander si je devrais revenir ou non. Pour prendre une décision
il faut absolument que je cause avec la famille, et nous verrons
cela cet été.
Je partirai d'ici pour une période militaire par bateau
de façon à visiter Smyrne, Athènes et Naples.
le voyage dure 8 jours
Mai 1910 :
Je suis à Moda depuis le 7 mai. Le 1er mai, c'était
la Pâques Grecque. Nous étions fermés le jeudi
saint et le lundi de Pâques, j'en ai profité pour
prendre 6 jours de congés
4 Août
au 5 octobre 1910:
Louis est en France pour
faire une période militaire à Annecy et voir la
famille, puis il retourne à Constantinople.
Octobre
1910 :
J'ai quitté Paris
le 5 octobre à 9 h 20 par le rapide de Marseille,
A mon retour aux EOB, j'ai été très bien
reçu par l'un et d'une façon quelconque par l'autre.
Je me suis de suite occupé de trouver une chambre mais
ce fut difficile et les prix ont augmenté ; je paye 64
F par mois café compris. Depuis mon retour je trouve la
nourriture exécrable, je dépense 5 à 6 F
par jour pour mes repas.
J'ai rouspété ferme pour une augmentation et on
a dû écrire à Orosdi, je verrai quel en sera
le résultat. J'ai beaucoup à faire depuis mon retour
et je n'ai pas beaucoup de temps libre. En ce moment nous fermons
à 5 h du soir. Les affaires marchent assez bien et nous
n'avons pas à nous plaindre. On ne m'a fait aucune observation
sur la longueur de mon congé ; mais je crois que le patron
espérait ne plus me revoir.
Rien de neuf si ce n'est que j'ai obtenu une augmentation de 4 £t par mois ce qui me fait maintenant 17 £t c'est à dire 391 F plus la gratification de fin d'année. J'espère que cela ne s'arrêtera pas là.
Décembre
1910 :
Ici cela suit son cours normal.
Je suis plus considéré qu'avant, sauf toujours par
Pépi avec qui je suis très mal et auquel je parle
le moins souvent. Léopold est très bien avec moi.
Je vais souvent chez lui et j'y ai dîné la semaine
dernière.
Malgré mon augmentation, j'en suis toujours à me
demander si je dois rester ici plus longtemps, car je m'y ennuie
beaucoup malgré les distractions que nous nous créons.
Janvier 1911:
Peut-être faut-il te souhaiter de ne pas rester trop longtemps
là-bas, car je serais heureux de te savoir plus près
avec une situation plus sûre qu'aux EOB.
Tu te demande si tu dois rester aux EOB. Moi également,
mais je serais plus décidé que toi pour la négative
d'après la façon cavalière dont on traite
parfois les employés qui ne plaisent pas. On est jamais
trop sûr du lendemain, seulement il ne faudrait pas lâcher
sans avoir autre chose. Dis-moi un peu ce que tu penses , Ce que
tu voudrais.
Février
1911 :
lettre de son frère : Je vois que maintenant tu as la côte;
Mais qui est-ce Pépi ? Qui dirige là dedans ? Léopold
ou Pépi ? Qu'elle est l'importance de de l'un et de l'autre
?
Tu me dis ne plus te souvenir de la direction des EOB ici. Pépi (c'est à dire Joseph) Back est le premier Directeur, il est dans la maison depuis la fondation, c'est le frère de celui qui est à Paris ; Léopold Back, (c'est un cousin du 1er) est plus jeune, 32 à 35 ans, c'est le 2e Directeur et il est dans la maison depuis 15 ans. Le premier, Pépi, est là pour copie conforme. Il vient régulièrement, mais il n'est pas bon pour les affaires, bien qu'il soit persuadé de ses qualités. Il a très mauvais caractère et il n'est pas possible de discuter avec lui. J'ai eu souvent des incidents avec lui comme tous mes prédécesseurs. Il ne peut s'entendre avec personne, je le traite en quantité négligeable.( voir plus haut son comportement au moment des grèves). Quant à Léopold c'est plutôt lui qui qui fait marcher la maison. Il est très gentil et c'est avec lui que je suis très bien. Orosdi sait bien à quoi s'en tenir sur le compte de Pépi et c'est certainement Léopold qui a le plus d'influence.
Mars 1911 :
Quant à moi, j'en suis toujours au même point, et
il n'y a rien de changé dans ma situation. Or mon séjour
ici devient de plus en plus problématique, car je ne puis
arriver à me plaire dans ce milieu d'allemands qui conduit
l'affaire.
Avril 1911
:
Ma situation est toujours la même, incertaine et ennuyeuse
au plus haut degré. Cela m'ennuie de capituler et de faire
voir à ces gens que je suis obligé de partir à
cause d'eux. Je suis donc tout à fait dans le doute. Je
me demande justement si je n'aurais pas mieux fait, en quittant
le régiment de retourner chez M. Hoff à Harburg,
qui m'aurait certainement reçu à bras ouverts.
Juin 1911 :
à son frère : Je vais être obligé de
quitter Constantinople pendant 2 mois, car je m'embarque dans
10 à 12 jours pour la mer Noire où je dois accompagner
un ingénieur Anglais ainsi que l'homme d'affaires d'Orosdi
qui vont explorer une région où l'on a découvert
du cuivre.
Je vais servir d'interprète.
On peut penser que les EOB
veulent investir dans ce domaine minier. Orosdi a déjà
des intérêts dans des sociétés minières
dont le père de Louis s'occupe.
Un syndicat est formé pour ces recherches et une Cie. sera
créer avec un capital de 40 millions de francs environ.
Il paraît que c'est une affaire merveilleuse. Il est vrai
que c'est toujours comme cela lorsqu'une telle affaire débute.
Si elle est bonne ce sera quelque chose d'épatant. Si tu
as des bouquins qui traitent des mines de cuivre, envoies les
moi ainsi qu'un dictionnaire technique anglais-français.
Novembre 1911
:
Louis estime que depuis son arrivée, la vie a augmenté
de 35 à 40 %. Il gagne 5 200 francs et c'est peu pour ici,
il arrive difficilement à boucler ses dépenses.
Ainsi depuis le 1er de ce mois j'ai déjà dépensé
pour mes fiançailles et mon installation environ 25 livres.
Je serai beaucoup mieux à Paris avec 4 000 francs qu'ici
avec 5 200.
Décembre
1911 :
Je n'ai pas revu M. Orosdi depuis la rentrée et je n'irai
le voir que si tu y tiens. Il vaudrait mieux que tu lui écrives.
Annonce lui que ton mariage a raté parce que la famille
n'a pas jugé ta position financière suffisante pour
créer un ménage, qu'on t'a fait remarquer de plusieurs
côtés que que tu ne gagnais pas encore 500 frs par
mois et que tu reconnais qu'on a bien raison et tu serais heureux
qu'il le reconnaisse également. Tu es à AO depuis
4 ans, que tu as 28 ans, que tu connais 5 langues. Qu'avec des
appointements si faibles tu ne peux trouver un parti sérieux
ici et c'est cependant ce qu'il te faudrait trouver pour y rester,
car à ton âge, la vie n'est pas gaie à AO.
Que tu ne voudrais pas être amené à envisager
de quitter la maison pour te créer une situation et vu
ton âge rester éternellement dans cette société.
La société n'est pas des plus généreuses avec son personnel ! C'est l'éternelle discussion.
Janvier 1912
:
J'ai parfaitement terminé l'année et bien commencé
la nouvelle.
Le 1er janvier, je suis allé à la réception
de l'ambassadeur où il y avait beaucoup de monde.
Comme je le pensais bien, je n'ai pas eu d'augmentation, mais
j'ai reçu 2 livres de plus que mon mois double
Je (son père) suis allé
samedi à Paris et je suis passé aux EOB. J'y ai
trouvé M. Joseph Back et M. Carminati qui arrivaient. J'ai
causé en particulier à Pépi pour savoir ce
qu'il pense de toi, et voici ce qu'il m'a dit : « C'est
un garçon très intelligent qui peut faire tout ce
qu'il veut et très bien, mais il ne s'occupe pas assez.
Il faudrait qu'il soit constamment dans les rayons à apprendre
à connaître les marchandises. Il faudrait qu'il prenne
les acheteurs à leur arrivée, qu'il leur cause,
qu'il leur fasse valoir les articles divers pour les engager à
acheter, au lieu de cela, je le vois souvent assis dans un fauteuil
quand j'arrive ». Il dit la même chose que Frauch.
Il m'a dit aussi qu'il fallait que tu te dises bien que ta situation
était dans la maison, qu'il était content d'avoir
des jeunes gens comme toi pour l'aider. Que tu devais envisager
qu'il ne serait pas toujours là et que tu devais viser
à le remplacer. Naturellement j'ai laissé dire sans
avoir l'air de douter. Je t'en avertis. Il est bien entendu que
tu dois toujours te conduire et travailler comme si rien ne devait
arriver plus tard. Tu peux cependant leur laisser entendre que
tu n'es pas satisfait de ta situation et que si on n'y remédie
pas, tu ne la laisseras pas se prolonger indéfiniment.
J'ai revu dans l'après midi M. Carminati, je l'ai invité
à venir nous voir . Ce n'est qu'ici que je pourrai causer
avec lui et savoir un peu ce que l'on veut faire de ce Bolaman.
J'ai rencontré M. Kerudji qui est mécontent qu'on
lui ait envoyé un simple facturier comme sous directeur
à Alep, aux appointements de 8 000 frs. alors que lui chef
comptable ici ne les gagne pas.
Février
1912 :
Les actions ne montent pas, parce qu'elles sont assez chères
pour le rapport qu'elles donnent. C'est une affaire commerciale,
en Orient, et le public a toujours des craintes. Le marché
est des plus restreint, et c'est M. L. O. qui le fait. D'après
le peu que j'en sais les derniers résultats devraient être
très bons. On parle d'une augmentation de capital, mais
n'en dis encore rien. Je ne sais rien de plus
Mai 1912 :
Je vais repartir à Fatsa avec l'ingénieur Anglais
de l'an passé, qui vient d'arriver.
Son père a vu M Franck qui prétend que Louis ne connais pas le Grec et qu'il n'est pas assez dans les rayons ! Il va voir avec les Orosdi à lui donner une occupation spéciale où il aurait à se débrouiller et pour laquelle il serait responsable. Son père a répondu qu'il fallait revoir la question des appointements avant tout changement.
Je suis toujours à Samsoun
et je pense rentrer la semaine prochaine à Constantinople.
Comme distraction, il n'y a ici qu'un cinématographe. Pas
de quais, ni de port, pas de cafés ni de promenade, rien.
C'est une ville de 40 000 habitants, environ, très importante,
qui sera tête de ligne d'un chemin de fer que l'on a commencé
il y a quelques mois. La principale richesse du pays est le tabac
de Bafra. La région exporte environ 1 million 1/2 de livres
turcs de tabac et 250 000 livres turcs d'oeufs. C'est une ville
d'avenir et notre nouvelle succursale promet bien. Je vais rester
ici 3 semaines et 2 jours.
Le voyage de retour a été
difficile, à cause de la pénurie de bateaux résultant
de la fermeture des Dardanelles. La semaine dernière, il
lui a fallu faire trois jours à cheval.
Il arrivera à Constantinople le 27 mai après une
absence de 3 semaines et 2 jours. Ce Jour là, le magasin
est fermé, les affaires sont très calmes. Il passera
l'après midi avec l'ingénieur Anglais qui a une
très bonne opinion de la mine et il y a des chances de
réussite.
Le père de Louis lui demande quelques renseignements confidentiels sur l'attitude de M.Carminati à son égard. Il doit y avoir autre chose qu'un motif futile. Ce serait peut-être très intéressant de connaître les dessous de l'affaire.
Juin 1912 :
La date de mariage de son frère est fixée. Il ne
pourra y être, sa présence est indispensable à
AO, Mr. Back est parti pour un mois il ne peut s'absenter.
Août
1912 :
Le 31, mon père
quitte l'île d'Yeu où il vient de passer une partie
de ses vacances. Il doit se rendre à Montrais pour participer
aux manoeuvres d'Armée de l'ouest. Il sera absent jusqu'à
fin septembre.
Octobre 1912
:
Je suis arrivé à Constantinople le 22 à 11
H 30, après un voyage de 6 jours et par un temps merveilleux.
La situation ici n'est pas brillante. Ne craignez rien pour moi,
s'il arrivait quelque chose, je prendrais mes dispositions pour
traverser la tourmente sans danger.
Novembre 1912
:
Tu m'as demandé si je connais Salonique et si j'y suis
allé. Oui, mais je ne me souviens pas de grand chose. Je
crois que la maison faisait l'encoignure de 2 rues.
Le directeur de l'époque s'appelait Livada et le comptable
était Mr Bénédict qui est aujourd'hui à
Beyrouth. As-tu reçu une réponse de Mr. Orosdi concernant
ta demande pour Smyrne, qui dirige là bas ?
Combien de temps resteras tu encore à S.A. (Salonique)
Fusch doit-il revenir ? Tu resteras sans doute à A.O.
Le 16 novembre
:
Nous avons reçu l'ordre d'Orosdi, d'accord avec Poincaré,
de nous mettre en rapport avec l'ambassade pour nous entendre
au sujet de la protection du magasin. Ce jour nous envoyons 7
caisses contenant notre comptabilité à bord du Léon
Gambetta. Il y a toujours un paquebot français dans le
port pour évacuer la colonie française si besoin.
J'ai dit aux Back que vous me réclamiez ; ils me laissent
naturellement, libre de partir si je le juge bon, mais ils n'en
voient pas la nécessité.
Janvier 1913
:
J'ai le plaisir de t'annoncer que ma situation vient de s'améliorer
sensiblement et je me demande maintenant si je ne ferais pas mieux
de rester ici, surtout que depuis mon retour de France, on me
laisse entière liberté dans mon travail. Léopold
avait écrit à Orosdi en insistant fortement sur
la nécessité de m'augmenter pour éviter mon
départ. Ils ont enfin compris qu'il était temps
d'améliorer mon sort, et ils l'ont probablement fait parce
qu'ils ont besoin de moi. Je suis augmenté de 50%, je toucherai
25 £t au lieu de 17 ; en calculant sur 13 mois cela me fait
7 475 francs. De plus je touche aujourd'hui 25 £t de gratification
au lieu de 17. Enfin, je crois qu'il n'y a pas trop lieu de se
plaindre, car je doute fort de trouver l'équivalent en
France. Eh puis Pépi ne cesse de répéter
qu'il partira bientôt, raison de plus pour rester ici et
attraper la sous direction ce qui je l'espère, me vaudrait
bien 15 000 de début. Le fait de m'augmenter dès
aujourd'hui de 50% semble prouver que l'on tient à moi.
Louis est à Salonique.
Je suis rentré de voyage avant hier soir. Dans ces pays cela n'a rien d'agréable. Je suis très occupé et je vais repartir dans quelques jours pour Uskub. Je resterai encore ici pendant au moins 2 mois, car il y a énormément à faire à cause des événements qui sont très embêtants pour tout le monde et je m'en ressens personnellement.
Juin 1913 :
J'ai reçu une lettre de Pichon, dans laquelle il regrette
de ne pouvoir me nommer conseiller du commerce extérieur
à cause de mon âge, ce qui animerait des jalousies
dans la colonie.
J'ai reçu de nombreuse félicitations à l'occasion
de ma nomination chez Orosdi, entre autre celle de Mr. Boppe,
ministre plénipotentiaire, chargé d'affaires à
l'ambassade.
Je te conseille d'acheter des
actions EOB, elles sont actuellement à environ 206 ; la
deuxième partie du coupon, environ 7 f,50, sera payée
le 11 juillet après l'assemblée. Il est possible
ensuite qu'elles montent si l'on fait une nouvelle émission.
En tout cas, si l'émission n'est pas décidée,
tu pourras revendre après avoir touché le coupon,
car elles ne baisseront certainement pas de la valeur du coupon.
Il y a 2 mois j'en ai acheté 50 à 200 fris que j'ai
revendues 3 semaines plus tard à 212. Il y a 3 semaines
j'en ai acheté 50 à 205; je vais toucher le coupon,
et je verrai ensuite si je dois les revendre.
N'en parle pas à petit père, car il ne veut pas
que je fasse ce genre d'affaires. C'est pourtant très sûr,
car je ne le fais que sur les papiers des EOB, dont je connais
la marche.
Juillet 1913
:
En ce moment, je me morfonds dans ce trou de Constantinople où
tout fini par devenir indifférent.
15 septembre
1913 :
Je suis à Salonique depuis 15 jours pour remplacer le directeur
pendant son absence.
Nous avons expédié un wagon à Usküb
avant l'annexion. La douane voulait appliquer le nouveau tarif.
Depuis, nous avons obtenu, à la suite de nos démarches,
gain de cause, mais il n'en reste pas moins vrais que les tarifs
douaniers ont été changés du jour au lendemain
sans aucun préavis. Notre maison de Paris s'est adressé
au ministre des affaires étrangères pour présenter
nos doléances à ce sujet.
Octobre 1913
:
Le 2 octobre, c'est le 1er de l'an israélite, et le magasin
ferme à midi.
Le 1er novembre
1913 :
Je suis allé pour 8 jours à Usküb, où
nous avons ouvert une petite succursale. Je suis rentré
avant hier soir après 12 heures de chemin de fer pour faire
250 km. Usküb, en serbe Scopljé, est une jolie ville
très coquette. Usküb est certainement appelée
à un superbe avenir commercial car c'est là que
viendra maintenant la clientèle de Macédoine et
de Serbie qui avant la guerre allaient à Salonique.
Fusch ne parle toujours pas de son retour, de sorte que je ne
sais pas encore combien de temps je vais encore rester ici. Cela
n'est pas très gai, mais j'ai des compensations, car j'y
suis au frais de la maison.
Les 1er &
3 décembre 1913 :
Louis écrit de Belgrade.
Je viens de passer quelques jours à Usküb, puis
j'ai fait une tournée de 2 jours en auto à Calcandlen
et Gostivar, à l'ouest d'Usküb. J'ai pris le train
pour venir ici, à Belgrade, pour affaires au Ministère
des affaires étrangères. Je repars le 4 pour Usküb
où je passerai la nuit et en repartirai le 5 pour être
à Salonique vers minuit. Fusch rentre le 6 décembre
et je pense être à Constantinople le 20.
Ma situation vient de s'améliorer, on me laisse entière liberté dans mon travail. Léon aurait écrit à Orosdi en insistant fortement sur la nécessité de m'augmenter pour éviter mon départ. Pépi annonce souvent son départ, je peux espérer dans ce cas avoir la sous-direction avec un bon salaire. Une augmentation de 50% semble prouver que l'on tient à moi.
Le 8 janvier
1914 :
Je suis à Drama et j'espère être à
Salonique dans 4 ou 5 jours. Depuis Sofia, je suis allé
à Constantinople où je suis resté 30 heures
juste pour le 25 décembre. Je suis revenu à Dédé-Agatch
où je suis resté 4 jours à perdre mon temps
en chinoiseries avec les autorités Bulgares. Les Bulgares
sont de véritables sauvages et j'ai dû bagarrer pour
obtenir ce que je voulais. Finalement je suis arrivé à
mes fins, et ils ont dû ouvrir 2 magasins Grecs de nos clients.
Je serai à Belgrade, (hôtel Moskowa), du 20 au 25 probablement puis du 25 au 31 à Usküb (EOB). Je pense rentrer à Salonique le 2 ou 3 février.
C'est sans doute mon dernier
voyage à Belgrade, aussi en ai-je profité pour y
rester quelques jours de plus en vue de me reposer un peu.
Je vais rentrer à Salonique, sans bouger, pendant 2 ou
3 mois. J'espère ensuite rentrer à Constantinople.
J'en profiterai pour passer à Athènes où
je suis invité à rester quelques jours.
J'espère pouvoir aller en France cette année mais
il ne faut pas faire de projets trop lointains
28 janvier
1914 :
Je suis arrivé à Usküb, ce matin où
je suis plus occupé qu'à Belgrade.
Je ne parle ni Bulgare ni Serbe, mais je commence à comprendre
un peu. Si je restais quelques mois à Belgrade, j'apprendrais
assez vite.
Le 7 février
1914,
lettre de son père : Ce que tu m'annonces pour Füsch
ne m'a nullement étonné. Je t'en avais parlé
au moment de son congé.
Je ne sais si on t'offrira la place ni si tu l'accepteras. Dans
l'affirmative aie soin de bien poser les conditions, et surtout
d'exiger un pourcentage sur les bénéfices. Aie soin
aussi de faire remarquer dans quelles conditions tu prendras la
maison. Il doit y avoir maintenant beaucoup de créances
douteuses. Il faut relever celles-ci soigneusement, les faire
remarquer et tâcher que les amortissements ne viennent pas
frapper les résultats que tu pourrais obtenir. Pour les
appointements, si tu n'es pas satisfait de ceux qui te seront
proposés, fait remarquer que Füsch s'en va parce qu'il
trouve ne pas être assez payé. Il n'est pas encore
certain que M. Orosdi te propose la place, on ne sait jamais ce
qu'il pense en fait de directeurs et il a pris quelques fois des
décisions tout à fait contraires à celles
qu'on attendait.
Le 14 février
1914 :
En plus du travail important que nous cause notre inventaire,
le remplaçant de Füsch est arrivé et nous sommes
absorbés par la remise des services. Orosdi ne m'a pas
donné la place. Je quitterai Salonique fin mars pour rentrer
à Constantinople. J'ai reçu une augmentation de
10 £t ce qui me fait maintenant 35 £ turques par mois,
c'est à dire 805 francs plus un treizième mois de
gratification, cela commence à bien aller
Le 15 mars
1914 :
Le nouveau directeur est assez absorbant et ce n'est pas chose
simple de le mettre au courant.
De plus, le second directeur vient également de donner
sa démission, et je crois que ces événements
vont encore un peu prolonger mon séjour à Salonique.
Les affaires aussi sont très calmes et l'on est très
pessimiste sur l'avenir commercial de Salonique.
Le 6 avril
1914 :
Lettre de son père : Je suis allé aux EOB. Je n'ai
pas vu M. Orosdi mais il allait mieux et venait même de
temps en temps à son bureau.
J'ai recueilli de très bons renseignements sur toi. On
sait dans les bureaux que tu as les Palmes Académiques
. Je n'ai pas fait connaître le résultat du bilan
de S.A. J'ai seulement dit sur un mot laissé sur le bureau
de M. Orosdi que tu m'annonçais que les résultats
seraient satisfaisants. Maintenant, s'il était juste, il
te donnerait, lors de la répartition des bénéfices
aux Directeurs, une petite part sur les bénéfices
de S.A. puisque tu as eu la direction pendant la moitié
de l'année.
Tu as peut-être vu à Smyrne M. Stussi, l'ancien directeur.
La société va quitter la rue de Londres, c'est le
voisin Thomson-Houston qui prendra notre place. On est en pourparlers
pour retourner dans le quartier d'Hauteville.
Le 27 avril
1914 :
Il faut continuer à m'écrire à Salonique
car mon départ qui devait avoir lieu demain est encore
retardé.
Je pars dans quelques jours pour 3 ou 4 semaines pour la Thrace,
à l'ouest d'Andrinople.
Le 20 mai 1914
:
lettre à son frère : Lettre écrite sur le
bateau de Salonique à Smyrne.
J'ai dû t'envoyer des nouvelles de Sofia. Depuis je me trouve
en Thrace Bulgare où les affaires marchent mal. Je pensais
ne rentrer qu'à la fin du mois, mais je fus rappelé
par télégramme. Arrivé à Salonique
le 17, je me suis embarqué le 19 pour Smyrne où
je vais remplacer le directeur partant en congé. Je vais
y retrouver des amis et la vie y est plus gaie qu'à Salonique.
Directeur de Smyrne pendant 2 mois est un excellent filon, cela
prouve que je suis bien vu de la direction de Paris. Je ne peux
aujourd'hui fixer la date de mon départ pour la France
car je serais peut-être retardé.
Le 24 juillet
1914 :
Tous mes plans sont à l'eau. N'ayant pas de réponse
de M. Orosdi, j'en déduis que je ne peux avoir mon congé
pour cette année. Je me console car je vois là un
avancement sérieux pour moi.
Je pense quitter Smyrne début août et je resterai
sans doute 10 à 12 jours à Constantinople.
Le 27 juillet
1914 :
Il ne faut pas compter sur ma visite. J'ai écrit à
Orosdi pour lui demander de me donner quelques jours seulement
de congé. J'ai reçu ce matin une lettre de Mr. Orosdi
qui n'a pas l'air content que j'accepte d'aller à Alep
avec aussi peu d'empressement. Il me dit qu'il voudrait m'y nommer
Directeur et qu'il me déplacerait ensuite un peu plus tard.
Mais si, dit-il cela ne me plaît pas il m'accorde seulement
15 jours à 3 semaines de congé pour aller en France
et il me replacera ensuite à Salonique pour aider le Directeur.
Or, je préfère aller à Alep pour diriger,
que de rester à Salonique en sous ordre. De plus Orosdi
me dit que le Directeur d'Alep est très malade, je vais
être obligé de m'y rendre. Il n'y a pas moyen de
faire autrement, je me rattraperai plus tard. Je pense que le
jour de l'Assemblée, Mr. Orosdi en a parlé à
petit père. Que lui-a-t-il dit ?
J'ai reçu une convocation de l'armée pour novembre,
peut-être pourrais-je obtenir un congé à ce
moment là. Donc je ne vais pas en France.
Je pense quitter Smyrne vers le 4 ou 5 août, aller passé
quelques jours à Constantinople et embarquer le 10 pour
Beyrouth, et de là gagner Alep par chemin de fer.
Télégramme du 3 août 1914:
Urgent, Orosdi, Paris :
Etant mobilisable ai télégraphié Hornfeld rentrer urgence. Partirai après son retour. Prenez autres dispositions Alep.
Salmon.
Pendant la guerre et sa captivité, Louis Salmon entretiendra une correspondance régulière avec monsieur Terra un collègue des EOB. de S.M. qui le tiendra au courant des affaires de la société.
Le 6 octobre
1914 :
de Mr. Terra : J'ai pu obtenir dernièrement un congé
de Mr. Orosdi qui est actuellement à Manchester.
Je reste pour le moment à Paris en attendant de pouvoir
retrouver nos succursales et le beau blond avec lequel je suis
en correspondance en ce moment pour les affaires de Smyrne. Je
n'ai pas de nouvelle de Salingarde. (ancien employé de
S.M. qui a monté son affaire en France)
Le 12 octobre
1914 :
de Mr. Orosdi : Je suis à Manchester. Je suis content d'avoir
reçu de tes bonnes nouvelles et j'espère que tu
reviendras sain et sauf de cette guerre.
Les turcs qui pouvaient rester tranquilles en restant neutres,
ont fait une grande bêtise ! Le résultat, c'est que
le pays est ruiné, que les affaires aussi bien d'exportation
que d'importation qui auraient pu être si florissantes,
sont mortes et qu'il y a une misère épouvantable.
Nous ne vendons rien à Smyrne 20 £ par jour ! nul
partout ne fait ses frais, aussi avons nous été
obligés partout de réduire les appointements de
50% et encore avec cela nous sommes en pertes !
Le 27 octobre
1914 :
de Mr. Terra : Ici, à
la maison, nous restons les mêmes que vous avez pu voir
à votre passage à Paris ; nous travaillons peu comme
vous pensez. Mr. Orosdi est toujours à Manchester, je crois
; il m'est donc impossible de vous donner son opinion sur les
événements, tant qu'à moi je tâcherai
de rester à Paris.
Nous espérons toujours et tous que le cochon de Frahm sautera.
Le 17 novembre
1914 :
de Mr. Terra : Mr. Orosdi est rentré à Paris? il
a je crois obtenu un sursis en ce qui concerne le beau Siederer
du Caire; J'espère comme beaucoup que malgré ce
laps de temps accordé il sera décidé de le
mettre à la porte.
Quant au non moins beau Frahm, il est toujours à Smyrne
à moins qu'on ne le ramasse pour en faire un uhlan quelconque
puisqu'il a été dit que tous les Boches séjournant
en Turquie devaient servir dans l'armée turque. Ce sale
type paraît avoir encore beaucoup de pied dans la maison
car j'ai appris depuis que je suis ici de telles choses que je
ne peux vous les écrire.
Richier de Samsoun est à Soissons en ce moment... Notre
maison de Samsoun a été mise sous séquestre
pendant quelques jours et une permission de rouvrir à été
donnée. Pour les autres succursales, nous ne savons rien,
la correspondance est arrêtée avec la Turquie; Nous
pouvons écrire par notre agent Lorenzetti à Milan
et c'est tout.
Le 28 novembre
1914 :
de Mr. Terra : Dans notre maison EOB tout paraît s'être
arrangé pour le mieux. Mr. L Orosdi a par ses relations
pu faire rester Siederer encore quelques temps au Caire, combien
de temps ? nul que lui ne le sait et là dessus il est peu
communicatif. Dans tous les cas pour le moment nos directeurs
en Turquie, sont toujours d'après notre grand chef de la
plus grande utilité puisqu'ils sont Allemands ou Autrichiens.
Cela doit pourtant changer d'un moment à l'autre, j'en
suis convaincu, quand nous nous présenterons comme maison
française ; ceci est naturellement spécial à
la Turquie. Pour l'Egypte, je doute que nos amis Anglais tolèrent
longtemps chez eux des gens qu'il nous faut plutôt exterminer.
Jusqu'ici, rien n'a percé du bureau directorial. Tant qu'à
votre idée sur Gumerchian elle avait déjà
été préconçue par L. Orosdi mais sans
rien déranger à A.O.
Je viens d'avoir des nouvelles de Mousset, il doit venir à
Paris.
Le 1er décembre
1914 :
de Mr. Terra : Rien de ce
qui peut nous intéresser ne m'est parvenu. Il parait que
le beau Fralun est très fier de son origine, puisque parait-il,
il sauvegarde nos intérêts au loin, mais je doute
que cela puisse durer longtemps, tant qu'à Smyrne rien
de nouveau . Aussitôt que j'aurais du nouveau, je vous l'enverrai
de suite.
Le 20 décembre
1914 :
de Mr. Ruef à son père
: Votre lettre est arrivée au bureau en même temps
que Mr. Orosdi rentrait d'Angleterre et le travail n'a pas manqué
pour le peu d'employés que nous restons.
Que vous dirai-je du bureau ; sont présents : Mr Orosdi
qui vient de passer 3 mois 1/2 à Manchester, Messieurs
Hohl (qui a passé 3 mois 1/2 à Biarritz), Dumail,
Furth, Lederer, Frey, Loyer, Delaye, Dazeville, Kendirdjy et moi.
Haussaire a été fait prisonnier dans le nord, parmi
nos autres employés français, il y a quelques blessés,
mais pas encore de tués. Côté boche : Fralun
a filé à Smyrne, Hensel a dû coiffer son casque
à pointe, Schnitzler, réfugié en Suisse ne
sait ce qu'il pourra devenir par la suite. L'aimable Siederer
a failli se faire expulsé d'Egypte mais a fini par obtenir
d'y rester.
Comme affaires, nous correspondons un peu avec la Turquie par
l'intermédiaire de l'agent en Italie. On n'y envoie plus
rien et leurs ventes sont insignifiantes et ils ne peuvent envoyer
d'argent. Le Caire et Salonique marchent un peu, et, Tunis pas
mal de sorte qu'il y a quelques rentrées et qu'on commence
à payer les fabricants, sauf les allemands et les autrichiens,
bien entendu. Quant au coupon il n'en est pas encore question.
Enfin Mr. Orosdi nous a charitablement réduit nos appointements
d'un quart et pourtant malgré la stagnation des affaires
il y a du travail pour tout le monde, et le peuple murmure.
Mr.Baratoux est toujours à la Baule et j'ai su qu'il s'y
occupe beaucoup des blessés.
Je ne sais pas si c'est officiel, mais je vous dis officieusement,
que Mr. Ricois, ancien directeur du Bon Marché, va être
membre de notre conseil d'administration.
Notre jeune secrétaire général est automobiliste.
Nous avons appris par l'Italie la mort du baron Pierre de Herzog,
beau père du baron Philippe. Mr. Orosdi est sûr de
la victoire : il n'y a que cela qui m'ennuie un peu car il a le
pronostic malheureux.
Février
1915 :
Par votre père, je viens d'avoir de vos nouvelles. Me conformant
aux instructions à suivre pour la correspondance adressée
aux prisonniers de guerre, je ne vous parlerai que de la situation
de nos maisons de commerce, les quelles vont bien doucement et
ne peuvent donner les résultats d'autrefois.
Fralun est toujours à SM ; le ménage entre lui et
Mr. Horn va de plus en plus mal, ce dernier vient d'envoyer une
très longue lettre déblatérant sur le compte
du premier. D'après les bruits qui circulent dans la maison,
je crois que le directeur sautera et que le beau Fralun restera
maître de la situation. De ce dernier, je m'occupe beaucoup
ici et ne perds pas de vue qu'il n'est pas à sa place et
comme malgré les enquêtes, on paraît laisser
possible ce qu'il possède, je ferai le nécessaire
pour arriver à la solution qu'il convient en la circonstance,
vous pouvez avoir confiance en moi tout sera fait pour nos désirs
partagés.
Salingarde est à Berry au Bac et, dit-il, ne s'en fait
pas. Notre ami Richié est tombé au champ d'honneur.
Tant qu'à moi, j'attends avec impatience la fin de cette
triste histoire qui me permettra de refaire une tournée
de nos maisons. Nos appointements baissés de moitié
ne permettent pas d'aller bien loin.
Furth et tous les collègues vous disent bien des choses.
Siederer est toujours à CR, comment cela se fait, je n'en
sais rien, il devra partir d'ici peu.
Mai 1915 :
... Nos 5 maisons encore libres, c-à-d. celles encore tranquilles,
marchent à peu près bien, nous expédions
environ 200 000 f par mois dans ces 5 maisons, les affaires reprennent
donc un peu.
C'est aujourd'hui, pour la
maison, la fin du mois ; chaque employé va avoir la visite
de Mr. Furth qui va remettre à chacun la portion congrue
à laquelle il a droit, soit les deux tiers de la normale,
c'est peu mais on s'en contente. Malgré cela, quelques
uns parmi nous sont privilégiés et reçoivent
la portion entière, mais voilà tout le monde n'est
pas baptisé de la même façon ce qui fait deux
poids, deux mesures.
Hier j'ai rencontré votre père qui est passé
à la maison voir ses anciens amis et toucher ses coupons.
La conversation a été sur vous et les EOB. Pour
ces derniers tout va bien 5 maisons travaillent et les autres
vivotent ; à ce sujet, notre grand patron va en Suisse
pour y rencontrer Pépi de AO, ce dernier lui a assuré
que toutes les maisons allaient bien , toutes les dettes ont été
liquidées en ce qui concerne les banques, nous ne devons
plus rien à personne et l'existant en portefeuille nous
appartient intégralement. La guerre aura eu cet avantage
de faire faire un nettoyage complet de toutes les affaires suspendues.
Par exemple, où il y aura pénurie, c'est pour trouver
de futurs directeurs ce sera très difficile ou alors il
faudra allumer et fermer car on ne trouvera personne en France
pour aller si loin, enfin tout dépend de ce qu'ils mettront
dans la balance. Pour vous je pense que vous serez choisi un des
premiers, reste à savoir où ils vous enverront.
Pour SM où se tient toujours le beau blond on a guère
de nouvelles, deux lettres seulement sont parvenues de ce dernier
et c'est pour demander des parfums. Celui qui correspond avec
lui ici est Hohl qui paraît avoir peur de lui.
Nos amis qui ont été vers AO sont maintenant à
la moitié de leur travail ; nous aurons en eux de précieux
auxiliaires et des employés sur lesquels nous pourrons
compter.
Notre grand patron profite et engraisse et achète de la
rente, c'est vous dire qu'il ne s'en fait pas.
Juin 1915 :
Depuis la dernière lettre que je vous ai envoyée,
rien de nouveau, si ce n'est que les EOB vont aller s'établir
126 rue La Fayette au terme prochain. Il en était question
depuis longtemps; A nous la poussière des dossiers qui
s'est accumulée depuis bientôt 50 ans dans le réduit
du 14.
Pas de nouvelles du grand blond, mais je ne le perd pas de vue.
Les affaires continuent de s'améliorer de jour en jour
et pour le moment tragique que nous traversons nous ne devons
pas nous plaindre. Presque tous les employés de la maison
ont repris depuis le 1er leurs anciens appointements, c'est heureux.
... Rien de bien nouveau pour nos établissements. en dehors des 5 maisons pour lesquelles le trafic n'a pas été arrêté, quant aux autres, elles écoulent les nombreux stocks qu'elles avaient et vous devez penser l'énorme nettoyage que cela va faire. Les habitants de la villa Reuilly achètent toujours par ci par là des pipes, c'est toujours par un ouvrage soigné que nous leur faisons nos livraisons, nous avons donc de ce fait un grand espoir pour notre bilan.
Juillet 1915
:
Je vous ai dit que notre patron avait vu Pépi à
Genève et que notre maison de AO vendait ses stocks ; les
recettes sont plutôt bonnes pour le moment mais l'argent
doit rester par là, rien ne nous parvient.
Léopold est toujours à AO, et le beau blond à
SM., pour le moment, vient d'écrire qu'il allait peut-être
devoir quitter la direction de cette maison pour servir son pays.
C'est bien, nous nous demandions pourquoi il ne l'avait pas encore
fait. Siederer qui avait plutôt été bien traité
par nos copains a dû quitter H.B. et fabrique de la bière
à Malte, toujours chez nos pot'.
Ici, à Paris, nous commençons notre déménagement,
ce n'est pas une petite affaire, l'opération doit se faire
le 15 juillet.
Tant qu'à nos habitants de Reuilly, leurs affaires vont
bien doucement, les bonnes sont terminées pour eux et si
nous n'en faisons pas de brillantes, eux n'en font pas du tout.
Notre chiffre d'affaires est toujours en croissance mais de peu
de chose ; de cela il faut se contenter ; bref, en un mot, l'argent
n'est rien c'est le but qu'il faut voir et nous l'obtiendrons
et nous résisterons à cette crise commerciale, nous
en sommes de plus en plus certains.
Août
1915 :
Votre père et moi nous occupons du beau blond et avec la
persévérance dont nous faisons preuve à son
sujet il est probable que nous réussissions dans notre
projet.
Ici, aux EOB, il vient de rentrer un Mr. de Coster en qualité
de sous directeur qui sera appelé à faire le travail
du beau blond ; c'est dire si notre administration ne croit pas
à un retour possible, c'est un avis général
qui est de plus en plus partagé. Le beau blond pourra donc
graisser ses bottes d'ici peu.
Du côté de AO, la situation s'améliore petit
à petit, cette maison nous donnera satisfaction. Chez Lorenzetti
ils font beaucoup d'affaires et sont très satisfaits. Nous
envoyons toujours nos 200 milles de marchandises ; à SM
dirigée par l'incomparable qui est toujours en désaccord
avec celui que vous aviez remplacé, nous avons bien peu
de nouvelles.
Les affaires sont plus que
calmes, Mr. Rohegre est silencieux, Siru n'écoute plus
sans doute leurs offres, beaucoup trop occupé par ailleurs,
mais ne nous pressons pas, ils y viendront certainement, pour
ma part je crois que le conseil d'administration de chez nous
les laisse sur leurs offres. Mr. R... aurait des tendances à
céder, quand à Mr. Buggie il est beaucoup plus dur
d'oreille ; le troisième associé me rappelle un
certain Platon Adjimihalique que vous avez connu à SM.
C'est tout à fait la même politique, pensez s'il
doit en faire des courbettes devant le grand blond. Impossible
de savoir ce qu'il pense, si, cependant quand on connaît
sa race comme nous la connaissons.
Chez nous, remaniement complet, réorganisation complète
de la maison après déménagement : matériel
neuf, stock réapprovisionné complètement,
on croirait que les affaires marchent à merveille, il me
semble que l'on fait beaucoup de frais vu la situation, enfin
on a raison de penser cela, puisque la fin doit venir. Au moins
on sera prêt à reprendre le travail dans d'excellentes
conditions je vous le garantie ; d'ailleurs le local est admirablement
situé, placé en plein centre des affaires, enfin
le tout ne demande qu'à marcher et espérons que
cela ira comme nous le désirons tous espérant votre
retour et en même temps la vie normale !! Rien de commun
avec les EOB vous comprenez naturellement.
J'attends la visite de votre père, j'ai une communication à lui faire au sujet du grand et beau blond de SM. Nous avons eu hier la visite d'un employé de Mr. Lépine qui s'est d'abord adressé à Furst qui l'a envoyé à Hohl ; bref je pense qu'enfin on s'occupe de lui et que nous allons grâce à cette visite lui trouver l'emploi et la place qui conviennent à son genre de beauté, ce ne sera pas trop tôt. Malgré tout ce que les amis et les autres ont fait pour le mettre à couvert, ils n'y parviendront pas.
Septembre 1915
:
J'ai beaucoup à faire avec nos établissements particulièrement
en ce qui me concerne. Depuis 4 à 5 mois, tous les employés
de Paris ont été remis à leur émoluments
d'autre fois, sauf moi, sous prétexte que je ne fais pas
partie du personnel de Paris ! Mais que j'appartiens au personnel
de l'étranger.
Ce fut pour moi un double préjudice : matériel car
les pertes que j'ai dû supporter depuis 14 mois sont énormes
; moral : vis à vis des autres employés. Je suis
sur le gril et notre patron suivant son habitude cherche à
tirer le plus possible sans s'occuper du résultat qui va
s'en suivre. Bref, la solution doit être discutée
à la prochaine assemblée du conseil d'administration,
il faut encore attendre.
Kendirdjy qui est malade depuis 10 mois m'a laissé son
travail sur le dos.
Mr. de Coster, le futur remplacent du beau blond va partir avec
moi pour sa prochaine tournée. Le beau blond n'est toujours
pas inquiété. J'attends votre père pour en
parler et livrer ce cas à la presse s'il y a lieu.
Salingarde a énormément de travail en ce moment,
il s'en acquitte d'ailleurs fort bien et vient même de nous
surprendre il y a quelques jours par les résultats obtenus.
Il vient de gagner beaucoup d'argent, ses opérations en
bourse vont très bien et ont toutes réussie et c'est
ainsi que les Ets. Reuilly et Cie. viennent d'être dans
l'obligation de lui remettre la forte somme, soit près
de 20 000 francs pour des négociations qui n'avaient été
engagées que depuis 2 ou 3 jours.
Octobre 1915
:
Les marchandises qui doivent être expédiées
à Pendi vont bientôt arriver.
La maison Roum et Cie. est arrivé à une entente
avec la vôtre, de sorte qu'au lieu de la concurrencer, elle
l'aide et propose même de la seconder de son mieux. Seul
la maison Ferdina se trouve contre la vôtre, mais sa concurrence
ne peut vous causer grand mal, car vôtre maison est assez
puissante pour la mater. Vous n'avez aucune crainte à avoir
pour vos actions dont les cours sautent et sauteront encore.
A Paris, rien n'est changé pour le moment, c'est toujours
la même vie malgré la recrudescence de travail.
Les cinq établissements qui marchent vont on ne peut mieux,
durant le mois d'août nous avons envoyé pour 300
000 F de marchandises.
Notre cher patron vient même de décider qu'il allait
payer les coupons en retard, il ne fera que suivre l'exemple d'un
grand nombre de sociétés tout ceci dans le but de
reprendre une vie plus normale. Le dernier déplacement
des locataires de Reuilly a été très lourd
pour eux, aussi perdent-ils confiance dans leur bonne étoile.
Il est impossible de sacrifier des capitaux pour les secourir,
ces derniers manquent et si cela se confirme ce sera la faillite.
Le beau blond vient d'écrire pour demander le renouvellement
de son bail, faut-il avoir du culot, il s'imagine que tout est
parfait, naturellement on l'a envoyé se faire fiche.
Mr. de Back est actuellement à Paris ceux de AO nous sont
toujours utiles pour le moment, il n'y a que quand les choses
changeront que nous pourrons prendre une décision.
Jusqu'à présent Orosdi n'a rien dit à leur
égard, il en est de même pour CR- HB-BT-SM, etc...
Je dois avoir une entrevue avec le patron en ce qui me concerne
particulièrement. Je pense qu'il marchera : soi à
m'augmenter, soit me renvoyer dans une de nos succursales, car
il n'y aurait aucun inconvénient pour moi de visiter LOP-CR-
et SA. Nous sommes très occupés avec cette dernière,
elle liquide tous ses stocks et fait de bonnes affaires. Sa clientèle
a changé et Gumerchian qui est à la tête a
dû être surpris de vendre à ces nouveaux clients
émigrés.
Nous n'avons pas été gênés, jusqu'ici
pour nos affaires, notre correspondance parvient très bien
sauf de M.M. mais Starck n'est jamais pressé.
Les affaires continuent, mais le change a des fluctuations parfois
désastreuses, notre patron vient, il est content et dans
toutes les maisons, il fait opérer des affaires à
son profit sans le proclamer comme de juste, mais pour les très
modestes employés, c'est de très mauvais goût,
c'est du travail en plus sans rémunération
De Coster part pour affaires urgentes à Londres il sera
sans doute nommé sous Directeur Général.
Il s'en tire très bien et il fait voir que sans le beau
blond les affaires continuent comme par le passé et la
crise commerciale pour les EOB est terminée.
Novembre 1915
:
Le beau blond est enfin dans les choux, on suppose qu'il a eu
le temps d'en mettre à gauche.
Les actions des EOB se maintiennent à de hauts cours ce
qui prouve que les affaires marchent bien.
Décembre
1915 :
Les affaires au siège des EOB vont toujours très
bien relativement à la crise que tous subissent. Les EOB
paient les deux coupons de leurs titres qui étaient en
retard. Les actionnaires et obligataires sont épatés
de toucher de l'argent par les temps présents. Les expéditions
se font régulièrement et le chiffre d'envoi pour
ce mois est de 360 mille francs pour les cinq maisons qui marchent,
les autres continuent de vivre sur leurs stocks ; ce sera un nettoyage
complet.
Gurmuchian est passé à Paris revenant de SA ; Il atout quitté pour se rendre dans son pays natal et contracter un engagement, il a tout plaqué à SA.
Janvier 1916:
La situation de Mr. Terra ne change pas, il est toujours au 2/3
de ses appointements, le patron est intraitable.
13 mars 1916
:
de Nyon, Mr. Grau : Je n'ai pas fait un bon voyage pour rentrer
en Suisse où je suis arrivé après quelques
jours seulement. Je suis rentré par Athènes et l'Italie
avec d'infects bateaux qui ne tenaient pas la mer. En ce qui concerne
Frahm, je pense que vous avez un peu raison de croire qu'il fait
un peu l'autocrate ; du moins c'est mon impression et sans doute
qu'il pensait que vous seriez tout heureux de revenir comme "son
bras droit" . Mais très probablement que vous ne l'entendez
pas de cette oreille. Je n'ai pas beaucoup de nouvelles de notre
ancien domicile. Tout est assez calme , il n'y a pas beaucoup
d'affaires. Je ne peux pas y retourner pour le moment, j'ai l'intention
d'aller en Egypte, si c'est possible. Je vais partir dans un instant
pour la Suisse allemande
Avril 1916
:
Le grand patron ne dit rien du tout, il se fiche du tiers et du
quart et personne ne peut ébranler sa confiance dans les
affaires ; il n'a même pas envisagé ce qu'il fera
plus tard. Le renouvellement du personnel se fera sérieusement
sentir et il ne sait pas comment s'arranger pour trouver des Directeurs
dans ces différentes maisons, cela ne parait pas l'inquiéter
pour le moment.
Il a fait preuve de bonne volonté en octroyant 50 f d'augmentation
à Mr. Terra, ce qui est loin de ses désirs puisqu'il
ne revient toujours pas à ses anciens appointements.
Aux EOB, les affaires marchent à peu près bien,
le mois de mars a été superbe, les expéditions
ont passé 900 000 f chiffre encore non atteint depuis le
début des hostilités. Le grand patron heureux et
satisfait va faire un petit tour dans le midi.
Le grand blond est toujours à SM, s'occupe-t-il réellement
des intérêts de la Société, on en doute,
ceux des siens devant lui être plus chers en ce moment.
Léon Back n'en parle plus comme autrefois, ses actions
ont baissé considérablement, mais peut-on savoir,
avec des gens comme lui, il faut s'attendre à tout, mais
rien de bon.
En cette fin de mois, Mr. Terra va mal et voit le moment où
il va être obligé d'arrêter.
Mai 1916 :
Les EOB continuent leur trafic avec succès quand on pense
que leur chiffre d'expédition était de 150 000 f
en août 1914 . Ils sont encore loin du chiffre des expéditions
d'avant guerre, mais tout de même c'est un beau résultat
et le patron semble satisfait.
En cette fin de mois de nombreuses et nouvelles affaires restent
en perspective, elles sont bien à côté du
commerce habituel de la maison, mais rien n'arrête le patron
s'il pense qu'il y a quelque chose à faire. On entend plus
parler du grand blond, il doit se la couler douce à SM.
Juin 1916 :
De nombreuses et grandes affaires se montent en ce moment. Seront-elles
productrices ? On le crois.
Toujours sans nouvelles du beau blond, au siège on n'en
parle plus, c'est comme s'il n'avait jamais existé.
Pour les commerçants, tout se passe à merveille,
leur chiffres d'affaires restent satisfaisants. Les financiers
tirent un peu la langue, les marchés quoique ouverts font
peu. Ce calme général convient assez bien au directeur
général, Orosdi, on ne le voit que le matin pour
les affaires courantes qui ont le don de l'ennuyer fortement,
mais toujours pas bileux. Tout lui réussi, il vient de
recevoir près de 175.000 francs d'une maison, l'ex banquier
est en prison, tant pis pour lui, il ne volera plus les gens qui
tous on nié avoir eu des relations avec lui.
Les EOB viennent de faire quelques bonnes affaires au détriment
des Reuilly qui commence à faire une sale tête. Les
succursales continuent à bien aller et feront un bon bénéfice
en fin d'année.
Juillet 1916
:
Les Reuilly qui voulaient prendre tout le commerce, ne rencontrent
en ce moment que des becs de gaz, et cela partout, en province
comme à l'étranger, c'est la faillite à bref
délai, ils ont voulu vendre trop cher.
Septembre 1916
:
Des voyageurs de CR et SA sont venus au siège des EOB pour
essayer de réassortir un grand nombre de marchandises,
ce qui n'est pas facile en ce moment, malgré cela il font
des achats assez importants.
Ce sont toujours les cinq mêmes maisons qui marchent bien
et donnent de bons résultats.
Octobre 1916
:
mon père à Terra : En ce qui concerne les virements
Henry Goy, faîtes pour le mieux. Vous recevrez deux nouvelles
demandes pour l'affaire P et vous y donnerez suite ; on vous indiquera
le montant des factures. Envoyez-moi des catalogues du Louvre,
Bon Marché et Belle Jardinière.
A-t-on fait des inventaires dans nos succursales depuis mon départ
? Quels sont les Directeurs actuels dans nos maisons , est-on
en correspondance avec AO.
Novembre 1916
:
On parle de créer une maison d'achat au Japon et un vieil
employé de Paris doit partir incessamment pour s'occuper
de cette affaire.
Les inventaires ont été faits dans chaque maison,
mais à Paris rien n'a été fait, rien n'a
été centralisé il faut pour cela attendre
la fin des hostilités car rien de juste ne pourrait être
fait pour le moment.
AO donne de ses nouvelles difficilement. Ce comptoir centralise
les autres de la région et fait parvenir globalement les
rentrées que l'on encaisse sans savoir exactement l'origine
des fonds.
Gumuchian, directeur de SA est passé à Paris, lui
aussi est satisfait des résultats de sa succursale, quoique
ses chiffres soient un peu au-dessus de la vérité,
il n'en est pas moins vrai que cette maison marche bien en ce
moment: il ne faut pas oublier que c'est une vente forcée
à l'heure actuelle et que l'endroit par lui même
ne se trouve alimenté que par les marchandises du siège.
Bref il a une grande confiance pour l'avenir et dit que son chiffre
ne fera qu'augmenter. Il aime bien Paris et n'est pas pressé
de repartir. Le grand patron va lui demander de rejoindre son
poste.
En fin de mois, l'associé de la maison Hâtât
est passé aux bureau de Paris porteur d'une traite en règlement
de l'affaire P. à laquelle Mr. Terra a fait face suivant
des instructions déjà anciennes malgré l'importance
de la somme ; l'argent ce fait rare en ce moment.
Décembre
1916 :
Il est impossible d'envoyer de la marchandise à B.T., qui
vit sur son stock.
H.B - LOP - CR - DC et SA, sont toujours les cinq contremarques
qui marchent et reçoivent des marchandises, pour les autres,
c'est gelé, il faut attendre la fin de la guerre.
Mr. Terra annonce à son ami Salmon que les vieilles créances
ont toutes été réglées à ce
jour, sauf celle qu'il lui a signalée dans un dernier courrier
; il va s'en occuper après le nouvel an. Mr. Terra signale
que la vie augmente et les appointements aussi.
Janvier 1917
:
L'exercice 1916 a été satisfaisant, meilleur que
1915 en tenant compte de la marche de six maisons sur onze. Toujours
guère de nouvelles des succursales fermées.
Le grand blond est toujours à SM; qu'y fait-il ? Nul ne
le sait, sûrement autre chose que la direction, c'est ce
que l'on pense à Paris.
Le personnel du siège est prié de faire des économies,
et le fait avec le sourire.
Février
1917 :
Un moratoire a provoqué un recul des paiements. L'argent
qui devait rentrer portant sur des centaines de comptes oblige
les directeurs à une ligne de conduite qui, atteignant
les uns et les autres, coupe les bras. 135 clients n'ont pas répondu
à l'appel et plusieurs kilos de marchandises restent en
panne. Il faut des délais très variables pour les
transits de Paris à Marseille. Dernièrement, une
caisse a mis 35 jours pour parvenir à destination. Tout
a été fait pour remédier à cela. On
a repris des employés, agrandi les magasins pour loger
toute la marchandise et même le perron de la maison a été
transformé.
Terra et Crou doivent partir en tournée pour trouver des
affaires mais en spiritueux seulement, les anciens clients empoisonnent
les leurs avec l'alcool, malgré la dépense, par
contre, les eaux minérales se vendent assez bien, c'est
moins brillant qu'en 1915 et même 1914. Malgré cela
on espère beaucoup avec les produits alimentaires et tout
ce qui se rattache à cette branche si fructueuse.
On ignore les bénéfices de l'exercice qui vient
de se terminer, le bilan n'ayant pas été fait.
Mars 1917 :
Les affaires sont calmes, seules CR - SA et LOP donnent quelques
résultats quoique leur chiffre soit diminué de moitié.
Terra est passé à SM, il y a rencontré une
connaissance de Louis Salmon qui lui a adressé une proposition
d'affaire concernant des appareils de ventilation. Comme c'est
une affaire très sérieuse, il va l'étudier
avec soins et il va la soumettre en haut lieu car la difficulté
est en rapport avec l'importance. Le résultat de sa première
démarche auprès d'une personne compétente
s'est traduite à la réflexion suivante : pourquoi
tenter une affaire qui exige tant de capitaux et de démarches
à un moment où les matières premières
sont hors de prix et difficiles à obtenir ; la raison impose
d'attendre les offres qui doivent arriver prochainement à
des prix plus lucratifs que ceux actuels. La remarque est à
prendre en considération car tout indique une grande baisse
d'ici peu. D'un autre côté, se serait une bonne affaire
pour la société, Terra va continuer les démarches.
Mai 1917 :
Les affaires marchent normalement, l'argent rentre, c'est le principal,
c'est ainsi que AO, à force d'envoyer pour lui et ceux
qui l'entourent va devenir créditeur. Quel travail il y
aura à la fin de la guerre pour rétablir la part
de chacun.
Juillet 1917
:
On reparle de l'affaire du mois de mars : Il faut plutôt
attendre un peu cela vu la situation du principal intéressé
qui se trouve être dans les conditions de ceux pour lesquels
on s'occupe activement en ce moment et ce serait bête de
monter une affaire qui coûterait beaucoup et qui risquerait
d'échouer faute de garanties.
Ce à quoi répond Louis Salmon : «Je tiens
beaucoup à ce que cette affaire soit montée. Il
est vrai, mais à mon avis, la façon que je vous
ai indiquée semble être la meilleure pour obtenir
de baux bénéfices. C'est surtout l'affaire macaroni
qui est intéressante car si on réussit avec cet
article cela faciliterait énormément le reste ;
c'est là un article que Léon doit pouvoir exploiter
et vous devriez lui en parler. Bref, agissez pour le mieux et
j'attends de vos nouvelles à ce sujet ».
Août
1917:
Mr. Terra sera sans doute obligé d'aller à SA pour
tâcher de réparer au plus tôt les dégâts
causés dans la comptabilité, c'est le grand patron
qui jugera s'il y a lieu. Deux petites succursales avaient été
ouvertes il n'y a pas longtemps dans la ville ; elles n'ont pas
eu à souffrir des événements.
Septembre 1917
:
Gontran, ancien collègue de SM, pense que nous y serons
bientôt de retour. Le patron est toujours là et ses
affaires prospèrent suivant son désir. Nous prenons
des dispositions pour faire à notre défunte maison
de SA une remplaçante que les plus beaux établissements
pourront envier. Ce qui manque pour le moment ce sont de bons
employés qui sont devenus très rares.
Les affaires semblent s'arranger en ce qui concerne la simplification
de la mise en route des projets du mois de mars. Cette affaire
bien en mains de gens compétents prend tous les jours bonne
tournure et d'ici peu devrait donner de bons résultats.
Comme en général, les affaires sont assez bonnes,
cette affaire solutionnée sans le concours des gros capitaux
dont il a été question, serait pour tous ceux qui
s'y intéressent un très grand soulagement. La maison
Reuilly fait de moins en moins de bonnes affaires avec les EOB.
Un nouveau directeur part pour SA ou Gumerchian a été
mobilisé dans les environs il ; faut donc le remplacer.
Les EOB viennent d'engager un Directeur pour SA, c'est un nommé
Paul Weill qui habitait B.T. et il apparenté avec Béno
Directeur de AL. On suppose qu'il est un peu camouflé.
Novembre 1917
:
Les affaires des EOB marchent mieux qu'on pouvait le prévoir.
SA a donné son million de bénéfices net.
Malheureusement, les rangs se creusent, on enregistre de nombreux
disparus.
En fin de mois, les salaires sont augmentés ce qui compense
l'augmentation des vivres.
Décembre
1917 :
On ignore tout de ce qui se passe SA; Le grand blond y est toujours,
il sert les EOB et les autres sûrement et seul le grand
patron est informé de ce qui se passe et par AO car Mayer
ayant fait le voyage doit apporter des nouvelles des maisons.
Janvier 1918
:
En ce début d'année la maison a donné à
chacun sa gratification annuelle qui a été la bienvenue
par ce temps de vie chère. Les EOB progressent toujours
et le siège comporte maintenant une cinquantaine d'employés,
ce n'est pas encore l'effectif du temps de paix mais c'est mieux
qu'en 1914 et 1915. Le travail est plus compliqué à
cause des nombreuses difficultés du moment. Les affaires
vont se clôturer avec de beaux bénéfices pour
les maisons qui marchent, mais les frais sont énormes pour
l'exercice, les frais généraux subissant une forte
hausse depuis quelques temps. On commence à titre de provisions
à expédier des marchandises à H.B lesquelles
sont destinées à B.T.. C'est une bonne mesure car
on s'attend à ce que cette dernière maison puisse
enfin recevoir de quoi se remonter.
Les affaires progressent , les nouveaux riches affluent de tous
côtés.
Avril 1918
:
En ce moment les affaires sont grandes en raison des difficultés.
Le patron ne se hâte pas trop pour conclure des marchés,
Il arrive beaucoup de Mendès depuis huit jours déjà,
ce sont de beaux arrivages qui doivent être envoyés
aux succursales.
Terra écrit : « notre fin patron, vrai chien de race,
a du flair parfois, il a surtout le don du négoce ; comme
employés nous nous noyons dans ses combinaisons abracadabrantes
certainement pour avoir de très gros bénéfices,
pas seulement sur le papier mais bien effectifs, il faut d'abord
engager des gros capitaux, bref en un mot il sera toujours le
même, nous verrons la réussite s'il y a lieu comme
l'an dernier où il bâtissait des châteaux en
Espagne, ce fut un coup dur pour lui ».
31 Mai 1918
:
Lettre de mon père
à Terra : Je vous confirme ce que je vous ai dit dans ma
lettre précédente, et vous êtes dans l'erreur
si vous croyez qu'il peut en être autrement ; je vous conseil
de ne jamais traiter d'affaires avec ce client la, car il ne respecte
jamais ses engagements ; il faut au contraire que vous le suiviez
de très près, c'est la meilleure façon de
le faire s'exécuter. Pour les draps, tous les accords que
vous avez pu conclure pour la saison passée seront à
annuler ; non, ils ne peuvent être respectés pour
les raisons que nous avons déjà fait valoir ; certaines
maisons ont accepté me dites vous, j'en suis très
heureux. Quant à Reprez et Cie. , donnez leur 25% de la
livraison, pour le reste, dites leur qu'ils aillent chez Dubois
ou Lenoir, qui continuent à tenir l'article. Je note ce
que vous dites, mais je suis persuadé que cette affaire
ne sera jamais menée jusqu'au bout par l'autre contractant.
Vous ne me dites rien de votre dernier voyage et je suis impatient
d'en connaître le bon résultat. Est ce que vous croyez
qu'il soit utile de faire un troisième voyage avant la
saison ?
Une troisième tentative auprès du client n'est peut-être
pas nécessaire pour assurer la réussite de ce nouvel
article qui sera très demandé et facile à
introduire à mon avis. Je crois surtout qu'il prendra dans
nos succursales et vous avez bien fait de faire des préparatifs
d'avance pour ne pas avoir de retard, le transport étant
laborieux. Vous me direz ce que vous aurez récolté
sur cette affaire. N'oubliez pas de voir la maison Lenoir 68 rue
La Fayette qui doit nous confier, dans les premiers jours de mai
l'ordre de tôle ; bien que ce soient des clients difficiles,
je ne changerai rien à la fabrication, et s'il ne sont
pas content ils peuvent aller chez le concurrent, où ils
pourront voir lorsque seront terminés les envois. Demandez
à Lefèvre comment vont ses affaires et si mon cousin
Léon lui a donné les résultats qu'il espérait
; si il voit la possibilité de le garder définitivement,
cela me ferait grand plaisir. Je ne vois personne à lui
recommander de plus ; vous pourriez faire un échange entre
vos voyageurs, cela peut-être très bon et puisque
le sien connaît les détails, cela éviterait
les fuites. Mais si vous pensez autrement, je vous laisse libre,
je me rendrai à l'évidence en voyant les résultats
; il sera toujours temps plus tard de changer de système
si les services rendus n'étaient pas en rapport avec ce
que vous espérez. En attendant recommandez bien pour les
Tournus en France et en Amérique de ne pas s'engager trop
vite, si non vous ne pourriez plus y suffire et vous seriez obligé
de vous fournir ailleurs. Je vous remercie d'avoir réglé
l'affaire de la chemiserie du saut bleu et tout le monde en sera
heureux.
Juillet 1918
:
Terra est passé secrétaire général
des EOB. Il a accepté le poste, sa santé ne lui
permettant plus de faire des déplacements prolongés.
Août
1918 :
Les affaires ont été très prospères
à CR et DC, le nouveau directeur qui a pris la succession
de Siederer vient d'émarger 190 000 f comme participation,
c'est magnifique. Il en a été de même à
SA où Gumuchian a touché la forte somme, mais maintenant
qu'il est parti, on va serré un peu d'autant plus que la
marchandise manque pour le moment. Nôtres succursale de
AB va son train train mais le tout est plus tôt très
satisfaisant. LOP également.
Septembre 1918
:
Tout est à peu près satisfaisant, seulement tout
est cher. Une augmentation étonnante a été
faite sur tous les articles que nous expédions, de plus
l'acheminement est très lent à cause des transports
dont le matériel est insuffisant. Malgré tout, les
résultats seront bons, tout est cher mais on achète
quand même à n'importe quel prix. Notre grand patron
s'occupe en ce moment de beaucoup d'affaires bien secondé
par le remplaçant du grand blond qui est toujours à
S.M. et dont on entend plus parler.
D'après le Prof. Uri M. Kupferschmidt - Université de Haifa qui a écrit «La saga Orosdi-Back», Les EOB ont changés de nom et de propriétaires. Ci joint dernières informations reçues, un article paru dans Bney HaYeor (de l'Union des Juifs d'Egypte en Israel).
En ce mois
de février 2008, le bâtiment impressionnant des grands
magasins Omar Effendi au coin des rues Abdel-Aziz et Rouchdi
est presque vide, attendant sa restauration sous l'égide
des nouveaux propriétaires Saoudiens, la société
commerciale Anwal. La succursale de la rue Adli a déjà
subi un lifting, et d'après l'hebdomadaire El-Ahram du
5 Février 2008, la chaîne Omar Effendi, après
des années de déclin, retrouverait ses beaux jours.
Effectivement, une certaine nostalgie pour les grands magasins
d'antan, se fait déjà sentir parmi l'élite
résidentielle étrangère au Caire. Avant l'exode
des années soixante, la plupart de ces grands magasins
appartenaient à des familles Juives: Cicurel (d'Izmir),
Chemla (de Tunis), Gategno, Hannaux, Adès, Benzion etc.,
exception faite pour les Magasins Sednaoui et Davies Bryan, qui
appartenaient à des Chrétiens Syriens et des Gallois.
L'histoire de Omar Effendi, autrefois mieux connu sous
le nom Ets. Orosdi-Back, commence en 1855, avec la fondation
d'une maison de vêtements prêts-à-porter à
Istanbul, par Adolf Orosdi (antérieurement Adolf Schnabel,
la traduction en hongrois du mot 'bec'). Avant cela, il était
officier au service de Kossuth, le champion de liberté
Hongrois déchu, et avait trouvé refuge dans l'Empire
Ottoman. La famille Orosdi fit à deux reprises des mariages
avec la famille Back commerciale, également juive et d'origine
austro-hongroise. Un quartet de Léon et Philippe Orosdi
avec Hermann et Joseph Back, établirent graduellement une
chaîne de succursales à Bucarest, Plovdiv, Salonique,
Izmir, Adana, Samsun, Alep, Beyrouth, Bagdad, Basra, Tunis, Bizerte,
et pour des épisodes brèves à Tabriz, Téhéran,
et plus tard à Casablanca et Mekhnès. Depuis 1888,
leur siège social était à Paris, d'ou ils
dirigeaient des agences d'achat dans plusieurs villes industrielles
européennes (un enjeu que nous trouvons aussi chez les
magasins Chemla) et aussi au Japon. A Paris, Hermann Back
"de Surany" et Léon Orosdi, se convertirent au
catholicisme et marièrent leurs filles dans la haute bourgeoisie
française.
En Egypte, c'était non seulement le Caire et Alexandrie,
mais aussi Port-Saïd, et des
succursales furent établies pendant un certain temps à
Tanta et Zaqaziq. Le directeur local Philippe Back, contribua
à la construction de la synagogue Chaar Hachamayim de la
rue Adli, qui a dernièrement célèbré
son centenaire. Avant de s'établir en Hongrie pour une
carrière politique, il avait également patronné
des excavations importantes en Egypte.
Les aspirations du Khédive Ismail de construire un "Paris
sur le Nil" se reflétaient dans la visibilité
resplendissante des grand magasins, construits dans le style architectural
Parisien. La coupole du bâtiment Tiring (un des premiers
magasins austro-hongrois) sur la Place d'Ataba, et la 'cathédrale
de consommation' Sednaoui à la Place Khazindar toute
proche, sont autant de pierres précieuses posées
sur la couronne Cairote à cette époque. Orosdi-Back,
qui faisait surtout du commerce en gros, se développait
progressivement vers le commerce en détail. En 1909, il
ouvrit son établissement au quartier du Mouski, en y introduisant
- comme dans d'autres grands magasins - la pratique des prix fixes
et les stocks étalés avec accès libre. Il
offrait à sa clientèle des 'Nouveautés'
et des 'Articles de Paris', des produits de 'confection'
européenne pour la marche, pour les hommes, pour les enfants
et les femmes, des vêtements prêts-à-porter,
alors encore très chers, des chapeaux pour femmes et des
tarbouches pour hommes qui deviennent des articles de premier
rang. En fait, en 1899 Orosdi-Back devient la force mouvante pour
la formation du Syndicat des confectionneurs de tarbouches à
Strakonitz (Tcheque), qui approvisionnait la majorité du
marché ottoman, l'Egypte inclus.
Orosdi-Back étaient aussi forts en bonneterie (les bas,
les chaussettes, les sous-vêtements), manufactures de technique
tricot avancé.
Plus tard, vinrent s'ajouter les bottes, les chaussures, les cannes
et les parasols (assemblés en partie dans une usine à
Istanbul). De même la quincaillerie, articles de ménage,
articles de voyage et ameublement, de faux bijoux modernes qui
vinrent briser les conventions traditionnelles des bijoux en or,
des instruments de musique européens et des gramophones.
En 1908, Orodi-Back produisit les disques du fameux chanteur égyptien
Yusuf al-Minyalawi. Pendant la première décennie
du 20e siècle, Orosdi-Back possédait également
une usine de montres à La Chaud de Fond en Suisse.
Le personnel dans les grands magasins était en général
plus élevé en nombre que celui dans l'industrie
naissante (quelques centaines par entreprise). Plusieurs chefs
de rayon et employés supérieurs étaient des
hommes, tandis que les clients étaient servis par des vendeuses
(cet aspect ne gagna jamais le statut littéraire de Au
Bonheur des Dames de Zola, mais il surgit occasionnellement
au cinéma égyptien). Une bonne partie des employés
étaient des juifs et "de bonne famille". Les
vendeuses se devaient de parler quatre à cinq langues:
l'arabe, l'anglais, l'italien, parfois le grec et toujours le
français.
( ceci confirme les courriers de Louis Salmon )
Le Déclin
Un certain
déclin se fait déjà sentir pendant les années
trente. Les succursales à Tanta et à Zaqaziq sont
forcées de fermer. Avec le nationalisme économique
croissant, surgissent de temps en temps des boycottages de marchandises
européennes, et les grands magasins authentiquement égyptiens
font leur apparence.
La Révolution nassérienne enfin évinça l'élite étrangère résidentielle, neutralisa sa propre bourgeoisie indigène, séquestra et nationalisa les grands magasins. En réduisant sévèrement l'importation de marchandises, le régime des Officiers Libres croyait jouer ainsi un rôle économique, pour le profit des grands magasins nationalisés.
Les Egyptiens - Dans une démonstration de force juste avant l'accord final d'août 1958 - acquirent Orosdi-Back. Dorénavant, les magasins adoptèrent exclusivement le nom d'Omar Effendi. Ironiquement, c'était un retour à un ancien titre ottoman effendi, qui avait été aboli par la Révolution. Mais, à l'insu des égyptiens c'est aussi le nom antérieur du magasin qui avait été construit au quartier Eminönü à Istanbul aux environs de 1907, et qui existe toujours au même emplacement.
La nationalisation conduisit les grands magasins vers une médiocrité grise, vendant des marchandises de basse qualité. Des plaintes s'élevèrent contre les prix exagérés et les grands stocks restés invendus. Mais en dépit de la nationalisation, les affaires se développèrent ; Omar Effendi détient aujourd'hui 82 magasins. Les années soixante-dix, années de l'Infitah et d'une certaine libéralisation des importations, mêlaient une fois de plus les cartes. Avec la mondialisation, des shopping malls furent construits au Caire (récemment, un mall Carrefour à Ma`adi, copie du Carrefour français).
A partir de
1996, le gouvernement égyptien s'est embarqué dans
un programme de privatisation de certaines sociétés,
qui furent nationalisées dans le passé. La vente
d'Omar Effendi fut la première transaction d'un long processus.
Un grand débat eut lieu, non seulement sur le principe
même de la privatisation, mais aussi sur le prix de 'l'ancienne
diva' qu'était Orosdi-Back. Ironiquement, des
critiques nationalistes trouvaient le prix trop bas (pour un bien
que le gouvernement avait lui-même obtenu pour un prix également
trop bas). L'acheteur saoudien, Anwal United Trading Co., acquit
en 2006 la chaîne Omar Effendi, pour le prix de LE 589.5m.
(a peu près NIS 390 m.). La chaîne représente
de grandes marques de mode françaises et internationales
de consommation luxueuse, comme Etam, OshKosh, Kookai, Jacadi
et Bottega Verde. Les nouveaux propriétaires espèrent
évidemment vendre ces produits de luxe en Egypte aussi,
et - sans le dire explicitement "sur les bases d'un succès
d'origine juive" - de ramener Omar Effendi à sa belle
notoriété d'antan.
___________________________________
Du même auteur: "Who Needed Department Stores in Egypt?
From Orosdi-Back to Omar Effendi", Middle Eastern Studies,
vol. 43/2 (2007), pp. 175-192 ; et European Department Stores
and Middle Eastern Consumers, the Orosdi-Back Saga ( Istanbul:
Ottoman Bank and Archives and Research Centre 2007)