23 octobre 1914.
Cher parents.
Je ne vous indique pas l'endroit
où nous nous trouvons, pour ne rien dévoiler, quoique
l'ennemi sache parfaitement où nous sommes. Tout notre
pays regorge d'espions et tout est signalé au fur et à
mesure. Cela tient à notre bêtise car nous tolérons
des civils dans la zone des armées. Il y en a qui le soir
venu font des signaux à la lanterne avec l'ennemi et nous
n'arrivons pas à les prendre. Du reste cette histoire d'espionnage
a été menée à fond par les allemands
et par notre stupidité nous pouvons dire que nous avons
été complices.
Je vous écris aujourd'hui du fond de ma tranchée
où je suis depuis 3 jours à environ 7 à 800
mètres de l'ennemi. Nous n'avons pas encore tiré
un coup de feu, car nous nous regardons sans attaquer ni l'un
ni l'autre. Hier, cependant ils nous ont bombardé 1 heure
durant et la Cie. à côté de la mienne a eu
4 blessés. Heureusement rien pour nous. Je crois que nous
allons être relevés cette nuit par un autre régiment,
pour nous permettre d'aller au repos. Nous sommes à la
lisière d'un bois mais assez visibles car il n'y a plus
beaucoup de feuilles. Nos tranchées ont environ 1 mètre
de profondeur et sont couvertes de feuillage et de terre ; nous
avons des couverture et de la paille et il ne fait pas trop froid.
On apporte à manger aux hommes le soir et à moi
; mon cuisinier vient 2 fois par jour. Il ne me manque rien. La
nuit naturellement, nous n'allumons rien. Je me suis fait un petit
trou dans le fond d'une tranchée et je peux y allumer une
bougie sans que rien ne se voit j'arrive donc ainsi à lire
le soir. Malgré tout ce semblant de confort, ce n'est tout
de même pas très drôle et je ne vois pas la
fin arriver bien vite. Le moral des hommes est cependant très
bon et l'on sent que tous sont décidés à
lutter jusqu'au bout. Je constate journellement combien les allemands
étaient préparés de longue date à
cette guerre et leur supériorité vient surtout de
la légèreté avec laquelle nous nous sommes
occupés de la question militaire. Le politique chez nous
a été très néfaste et nous en supportons
maintenant les conséquences ; Vous êtes du reste
fixés à ce sujet. Depuis mon départ de Marvéjols
je suis sans nouvelles de vous. Je suis promu capitaine depuis
le 19 octobre.
Je n'ai guère le temps d'écrire, je suis en bonne
santé.
Je vous embrasse...
Louis