- L'adolescence. -

L'oncle Alfred était encore à Moulins et avec son accord, ma tante me plaçait, le 11 mars 1941, aux Orphelins Apprentis d'Auteuil », devenus depuis la Fondation d'Auteuil, Cette oeuvre fondée par l'abbé Roussel est dirigée par les pères du St. Esprit, elle reçoit des orphelins désirant apprendre un métier. Le Père Daniel Brottier ancien aumônier de la guerre 14-18 en fut directeur de 1925 à 1936. Maintenant, les choses ont évoluées, il y a surtout des enfants ayant des problèmes sociaux et puis la vie en internat y est plus agréable.

A mon arrivée, le père Le Retraite était directeur, puis les Pères Lecoque et Duval lui succédèrent, le Père Pichon était sous directeur, Monsieur Kéruel surveillant général, Monsieur Comaille surveillant.
L'abbé Despons notre aumônier assurait les prêches pendant les retraites. Un soir, nous parlant de la mort à laquelle il faut toujours être prêt il nous dit : « ce soir, je suis avec vous et demain je peux très bien être mort ! » Il ne croyait pas si bien dire, car le lendemain nous apprenions que Dieu l'avait rappelé à Lui dans la nuit.

 


L'abbé Despons, le père Pichon, le père Brottier (1935)

Photo Rolland Poyer

Les métiers enseignés étaient : la mécanique, la menuiserie, la serrurerie, la lithographie, l'imprimerie, la typographie, la reliure, la cordonnerie, la radio.

Je voulais être électro-mécanicien, mais à cette époque on ne formait pas d'apprentis dans cette branche. Je fus orienté sur la mécanique par l'ingénieur Monsieur Perrin.
Installé devant un étau avec un lopin de fer et une grosse lime je devais faire un parallélépipède aux faces bien planes et bien à l'équerre. Ho là là quel boulot ! Quelle fatigue, ça n'allait pas du tout, ce n'était pas ce que j'espérais, je ne mettais pas de bonne volonté et je le manifestais en limant assis à côté de l'étau. Vous voyez la position, et la tête du moniteur !
Au bout de 8 ou 15 jours, monsieur Perrin me fait venir dans son bureau. Je lui dis ce que je pense de l'ajustage et de mon désire d'être électricien. Compréhensif, il finit par me proposer la radio, métier en somme voisin de l'électricité, j'accepte aussitôt. J'avais trouvé ma voie.

Le travail me plaisait bien et j'ai fait mon apprentissage en 3 ans au lieu de 4. Nous construisions des postes radio, sous la marque CARAC, depuis le châssis en aluminium, jusqu'à la mise au point et le dépannage. Monsieur Mayeur était notre chef d'atelier et Monsieur Georges le magasinier, J'ai oublié le nom des autres moniteurs. Tous les lundi, monsieur Chrétien venait nous faire un cours d'électricité et parfois, monsieur Mayeur, nous donnait des cours de Morse ce qui était interdit par les allemands.

Lucien Chrétien était le directeur des études de l'école de TSF la rue de la Lune, un grand monsieur qui en imposait, avec de grosses lunettes d'écaille, je me souviens encore bien de lui, Un jour, il est arrivé avec un dessin pour que nous fassions des cadres anti brouillage afin de pouvoir écouter la BBC. Puis il a disparu. J'ai pensé alors qu'il s'était mis au vert. Il n'en était rien, Lucien Chrétien était très actif au sein du groupe de résistants de l'école de TSF. Un jour, la Gestapo est venue pour l'arrêter à l'école. Le directeur lui a offert de fuir par une porte de secours mais il a préféré se laisser arrêter. Il passera plusieurs mois en prison.


Je ne me souviens plus de l'année où je me suis fait prendre à fumer la pipe à l'atelier, cela m'a valu un retour à la mécanique, en 1 ère année, à l'étage au dessous de la radio. Monsieur Brot était le moniteur. Ayant la promesse de Monsieur Perrin de reintégrer la radio si j'avais une bonne note de conduite, je me suis tenu à carreau et j'ai quand même appris à limer à peu près correctement. Après quelques temps, la punition était levée.
J'avais acheté un manuel de radio que je potassais en récréation, n'ayant pas de cours théoriques.


A l'internat, nous étions peu nombreux, il n'y avait qu'une section, par la suite nous sommes arrivés à quatre sections. Nous étions habillés par la maison : chemise sans col, pantalon et veste en bleu de travail, chaussettes et galoches, des chaussures et un uniforme de sortie pour les dimanches et fêtes.
La vie était monotone, le matin : réveil, toilette dans des lavabos constitués d'une rampe de robinets sur un bac commun. Il fallait se laver torse nu été comme hiver et sans feu, l'eau était glacée, ensuite, messe tous les jours, il fallait prier pour les bienfaiteurs, nous assistions à tous les offices de la Semaine Sainte, et pour les fêtes, messe basse et grand-messe. Ensuite, petit déjeuner et entrée à l'atelier. A midi, déjeuner, récréation et retour à l'atelier. En fin de journée, récréation avec distribution de biscuits vitaminés, c'était à celui qui irait chercher la boite dans le bureau du surveillant et surtout la remettre en place, c'était l'occasion de se remplir les poches. Le soir nous avions des cours de soutien scolaire dans les classes du bâtiment central terminé en 1942, puis le dîner et le coucher.
Pendant le mois de Mai, en fin de journée nous avions un rassemblement de prière dans la cour devant la statue de la Vierge .
Nous mangions à peu près bien, la religieuse qui dirigeait l'économat obtenait beaucoup de choses des commerçants des halles, par la suite elle a été remplacée par un économe qui lui obtenait moins et puis le ravitaillement c'est fait plus difficile, des jours nous avions dans notre assiette un carré de boudin infect et des poireaux cuits à l'eau, sans assaisonnement, un autre jour, des patates énormes archi cuites à l'eau dans leur peau, les indigestions, je ne vous dis pas
!

De notre atelier nous avions une vue d'ensemble sur la cour et en hiver, quand il y avait une livraison de pommes de terre, nous avions toujours besoin d'aller à l'infirmerie ou la lingerie et au retour nous ramassions quelques patates que nous faisions cuire sous la cendre du poêle de l'atelier. Le chef, brave homme, fermait les yeux. Le dimanche nous allions en promenade dans Paris et souvent au bois de Boulogne, nous y ramassions des glands. De retour à l'atelier, nous les faisions griller sur la panne des fers à souder pour faire du café.
En 3 éme année il nous arrivait de sortir pour aller chercher du matériel chez les fournisseurs, soit par le métro, soit avec un vieux triporteur. A notre retour, nous passions chez les boulangers du quartier qui avaient la bonté de nous vendre du pain sans ticket que nous partagions au retour. A 18 ans nous touchions des cigarettes qui nous servaient de monnaie d'échange.

Nous dormions dans les grands dortoirs au dessus de l'imprimerie, avec un seul poêle au milieu de la pièce, la nuit, on allait se chauffer autour et le recharger.
J'ai fait parti de la chorale, et aussi de la musique, l'hiver nous étions au chaud pendant que les autres étaient dans la cour.
Il y avait une sortie par mois, j'allais alors soit chez mon oncle Alfred à Bécon les bruyères, soit chez ma tante Drouet à Paris.

Nous avons été aux premières loges la nuit où les alliés sont venu bombarder les usines Renault de Billancourt. Le ciel était illuminé par les fusées éclairantes, les avions passaient au dessus de nos têtes puis nous entendions tomber les bombes, le dortoir était en ébullition, nous étions aux fenêtres pour assister au feu d'artifice. Notre surveillant était dépassé.
Le dimanche suivant, ce fut le but de la promenade. Par la suite nous passions les alertes couchés sur les rames de papier dans les caves de l'atelier d'imprimerie. Le père Pichon sous directeur de l'époque ancien combattant de la guerre de 14 nous gonflait le moral croyant fortement à la chute des allemands.

Bécon a subit également les bombardements alliés, la gare de triage, les usines de Bois Colombes. Après l'un d'eux, j'ai vu un matelas accroché dans un arbre, une bombe étant tombée sur un pavillon de l'autre côté de la rue. Dans la gare, des wagons de voyageurs avaient été projetés sur le quai, le trafic étant interrompu, je devait prendre le métro jusqu'au pont de Levallois et traversé la Seine à pieds. Les allemands avaient installé des batteries de DCA sur les ponts de la Seine.

Pour les moissons de 1943, les bras manquant à l'annexe agricole de Mettray au nord de Tours, des apprentis de 4 éme année ont été envoyés en renfort. Avant la moisson, nous avons démarié les betteraves, aie aie aie, nos pauvres dos ! Puis le temps de la moisson étant venu avec un beau soleil, nous travaillions le torse nu, mal nous en a pris, nous étions dévorés par les aoutats, impossible de dormir.
Pour Noël 1943, avec 4 copains, nous avons fait notre réveillon dans un réduit sous la cour du haut . Voir le
«Menu» et les «Commandements des orpheuls». Je terminais mon apprentissage dans la première promotion (couvée) du 6 février 1944 après avoir enterré le Père Cent.
Des camarades dont je me souviens : Talibart, Guérin, Crozet, Hémery, Saunié, Vivion, Nabarra, Piccinin, Richard, Rémond, Lamirault, Tanguy, Herbert, Aubry, Lafond, Courtois, Savin, Lançon, Rozan, Laurent, les frères Vasseur (J'en ai rencontré un à Trèves fin 46, Mécano dans l'aviation),Ribairon, que j'ai rencontré à Paris lors d'une permission en 1946. J'aimerais savoir ce qu'ils sont devenus.
L'oeuvre des O.A.A. me proposait une place à
Lavelanet, chez un artisan, comme radio dépanneur, mon camarade Michel Guérin, s'y trouvait déjà depuis 6 mois. Mon oncle traita l'affaire avec cet employeur et je prenais le train pour l'Ariège. A l'arrivée les miliciens de service contrôlèrent mes bagages et je rejoignais ma nouvelle maison, logé dans une soupante, par contre, très bien nourri, blanchi et chichement payé. Le patron était très malade, c'est sa femme qui faisait marcher la maison. Beaucoup de travail, pas le temps de fumer une cigarette après le repas, il fallait couper le bois pour le feu, faire la vaisselle, s'occuper des enfants, etc.... Le dimanche nous devions aller à la messe. Comme je l'ai dit, nous étions bien nourris, le patron avait une ferme dans les environs qui procurait du ravitaillement, principalement quand on tuait le cochon. La patronne était une cuisinière de première, le cassoulet était un régal de même que les confits d'oie entreposés dans une réserve à laquelle je rendais visite quand j'avais une petite faim, à 19 ans on a toujours une petite faim !!
En plus de la radio, je faisais de la photo, dans un cagibi au grenier, à côté de ma chambre, je développais les films à la cuve avec des procédés d'amateurs.

J'avais choisi cette place pour échappé à la présence des allemands. Un jour les résistants FTP du coin ont fait sauter le transformateur qui alimentait la ville et tous les ouvriers du tissage se trouvant au chômage, le STO de Foix vint les recenser. Je fus pris dans le lot. Je ne voulais surtout pas partir en Allemagne, mon
patron qui connaissait le chef du service de Foix me dit que les pupilles de la nation étaient placés en France. Lors de la visite médicale, à chaque passage devant un examinateur je répétais « Je suis pupille de la nation » ce qui était vrai, mon père étant mort pour la France. Vu le bon régime alimentaire chez mon employeur, j'avais plutôt bonne figure et le médecin me regardant avec un bon sourire me déclara inapte pour l'Allemagne.

Je fus envoyé à l'usine CFD à Pamiers, en avril 1944, comme électricien d'entretien. J'y ai retrouvé des jeunes de mon âge à qui je laissais entendre que je n'aimais pas beaucoup les occupants, les miliciens et autres collabos. Ne me connaissant pas il ne me disaient rien. Celui dont j'ai gardé le meilleur souvenir c'est Louis Déjean, nous avons vécu ensemble tout ce qui va suivre. Il s'engagera pour l'Indochine quand je serai démobilisé, nous nous écrirons longtemps, puis un jour, plus rien. J'ai appris ces dernières années qu'il est passé capitaine et qu'il est décédé après s'être marié et avoir un ou des enfants. Sa fille médecin à Pamiers m'a communiqué ces renseignements au cours de la réalisation de ce site.

Je logeais chez une vieille dame 2 rue de la pie et je prenais mes repas dans un restaurant en ville. La nourriture était moins abondante qu'à Lavelanet, il n'y a qu'à regarder ma tête pour s'en rendre compte. L'usine CFD travaillait pour les allemands. Je faisais mes petits sabotages sans rien dire à personne, puisque l'on semblait se méfier de moi, je mettais du sable dans les boites de graissage des wagons qui emportaient le matériel pour l'Allemagne. Après le 6 juin 44, j'ai voulu me mettre à l'abri et je suis parti avec un groupe de scouts quelques jours puis je suis revenu à Pamiers. Je donnais parfois un coup de mains à monsieur Germain Balard, radio électricien, avec lui je mis en place la sonorisation pour la cérémonie de la Libération de la ville.

 

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