- Paul-André Drouet -

Acte 2.

Nommé sous-Lieutenant a titre temporaire le 27 juin 1915 au 152 ème d'infanterie, je quitte Montargis
le 4 juillet pour mon nouveau dépôt à Humes, près de Langres. Mon camarade Lafaurie est nommé au même régiment.
Nous restons 10 jours à Humes pour préparer notre départ, c'est à dire pas grand chose, sinon de temps en temps un peu d'exercice avec la classe 16.
- Le 16 juillet : nous sommes 4 officiers qui quittons Humes pour nous rendre à Epinal, nous y couchons et visitons la ville le lendemain 17, Puis nous repartons pour Bussang où nous couchons.

Le lendemain,
18 juillet, la brigade met à notre disposition une automobile qui nous conduit avec beaucoup de détours près de notre régiment.
Nous nous présentons au Colonel Jacquemot qui nous reçoit aimablement. Sur ma demande il verse mon ami Lafaurie à la 12 ème Cie avec moi.
Nous dînons et couchons avec les officiers du 2 ème bataillon. Après la présentation au Commandant Bron , nous gagnons la 12 ème Cie qui se trouve dans les tranchées. Le Capitaine Naudin nous fait une réception glaciale et nous passons à table.

Tous les 4 jours, les sections se relèvent dans les tranchées. Le service y est assez dur pour les hommes car il y a beaucoup de travaux à exécuter, et le service de garde est trop chargé.

Il fait froid sur le piton de l'Hilsenfirst et quoique au mois d'août on supporte les vêtements chauds. Le secteur est relativement calme, sauf à 10 heures 1/2 et à 17 heures 1/2 où tous les jours les allemands arrosent notre position. Ce sont les heures des repas.

NDLR :D'après un correspondant allemand, de Ludwigigsburg qui travaille sur cette guerre, Rommel était à cette époque, dans le même secteur, lieutenant dans le bataillon de chasseurs alpins wurtembergeois face à des Chasseurs alpins français.

Les poilus sont très disciplinés et très courageux au combat Ils obéissent bien et aiment leurs chefs.
Cette guerre de tranchées est assez monotone, mais beaucoup plus confortable que la guerre de mouvement. Nos gourbis nous mettent à l'abri de la pluie et on y dort relativement bien. Les repas se font à heures régulières, notre popote fonctionne à merveille et rien ne nous manque, le ravitaillement se fait très bien et nous apporte tout ce que nous désirons.
A part le service à prendre et le quart de nuit, les quelques marmitages boches et les fusillades de la nuit, nous sommes assez tranquilles. L'Hilsenfirst est français depuis le 24 juin, c'est un des sommets les plus élevés des Vosges. Nous en occupons juste la crête et ma Cie est sur le point culminant. Nous avons une vue splendide, Munster est à nos pieds, Metzeral au nord, la plaine d'Alsace s'étend devant nous jusqu'au Rhin. Nous assistons aux combats furieux qui se livrent près de nous au Lingekopf et au Barenkopf.
Derrière nous nous avons la crête frontière, le Hohneck, le col de la Schlucht que les allemands bombardent avec des obus de 420, le col du Bonhomme, etc, etc...Nous avons la chance d'être dans un joli pays où la saison actuelle est agréable. Ni Lafaurie, ni moi ne regrettons l'Argonne.

Nous occupons 2 vallées en Alsace, celle de la Thür et celle de la Fecht. Dans les villages de la vallée de la Thür, les habitants sont francophiles et font bonnes mines aux soldats. De vieux alsaciens décorés de la médaille militaire et de la médaille de 1870, nous saluent avec respect. Les jeunes alsaciennes revêtent le dimanche leur beau costume national avec la cocarde tricolore, en un mot on se sent chez soi.
Par contre dans la vallée de la Fecht, c'est tout le contraire, les habitants nous regardent en dessous et ne sont pas sympathiques. De jeunes alsaciens sont restés dans le pays, parmi lesquels il y a Beaucoup d'espions.

- Jusqu'au 6 août : nous restons dans les tranchées de l' Hilsenfirst. Nous sommes relevés par la 8 ème Cie pendant une nuit de pluies torrentielles. Nous gagnons la cote 1025, au sud de Metzeral, où nous devons rester au repos.
Un fait amusant m'est arrivé avec Lafaurie pendant notre séjour à l' Hilsenfirst.
Très curieux de notre nature, nous étions partis pour visiter de vieux gourbis boches et voir le cimetière. Deux téléphonistes nous rencontrent dans la forêt, nous leur causons et ils nous donnent des renseignements locaux. après quoi nous regagnons notre emplacement.
Dans la nuit le Capitaine vient nous réveiller en nous donnant l'ordre d'aller faire des patrouilles dans le secteur, car deux boches habillés en officiers français étaient signalés dans nos lignes. Nous voilà donc partis, revolver au poing à la recherche de deux espions, que nous cherchons toute la nuit sans les trouver.
Le lendemain l'on a su qu'il s'agissait de Lafaurie et moi. Les téléphonistes, après réflexion, nous avaient signalés comme espions et toute la division était sur ses gardes. Lafaurie et moi nous étions cherchés toute la nuit.
- Le 17 août : nous avons l'ordre d'attaquer la crête du Sondernach et nous prenons position dans les tranchées du 13 ème chasseurs alpins vers les 10 heures. Le Lieutenant Colonel commandant la brigade où nous étions a préféré prendre les troupes qui n'étaient pas les siennes pour faire l'attaque dont il était chargé. Voilà pourquoi subitement du repos nous passons à l'attaque.
Nous gagnons donc Sondernach, qui se trouve dans un trou, à travers de nombreux boyaux et dans les caves des maisons. Nous attendons que l'artillerie commence le bal, celui-ci dura 3 heures 1/2 et les boches ont dégusté : 220 - 155 - 120 - 75 - 65 et 37. Aussi quand l'infanterie est sortie étaient-ils légèrement abrutis. Deux sections de la Cie, dont la mienne, avaient comme mission de fouiller leur tranchée, pendant que les deux autres continuaient la poursuite sur la hauteur. Nous arrivons chez eux en recevant quelques grenades et aussitôt, nous fouillons la tranchée. Quelques boches sortent en jetant leurs armes et se rendent. En fouinant dans les trous j'en trouve 5 qui se cachaient, je les prends par les oreilles en leur mettant mon revolver sous le nez, ils lèvent aussitôt les bras apeurés. Manquant de courage, je n'ose pas les tuer et je les fait prisonniers. Puis nous regrimpons jusqu'à la crête en aidant l'autre section à chasser les boches. Nous y arrivons et arrêtons là notre poursuite. Aussitôt au travail, nous commençons une tranchée. Notre Capitaine a été blessé avant l'assaut.
Une heure relativement calme, où nous posons quelques fils de fer et creusons la terre. Puis contre attaque des boches, les salauds arrivent sans qu'on les voit à 3 mètres de nous. Il faut dire qu'on se battait dans des taillis impénétrables. Ils nous arrosent de grenades, nos hommes ripostent mais nous subissons des pertes sérieuses, surtout en blessés. Une grenade tombe à mes côtés, je veux la saisir pour la relancer sur les boches, mais elle éclate juste à ce moment me blessant légèrement,(plaies superficielles au niveau du sein droit, dans région pulvienne, de l'avant bras gauche et de la cuisse gauche) ainsi que 2 sergents et 3 hommes. Une fois pansé au poste de secours, étant le seul officier blessé pouvant marcher je cours chez le Commandant lui porter des enseignements. Il me félicite sur l'héroïsme de mes hommes et sur le mien, et prend mon nom par écrit. Est-ce pour une citation ?
Après des tribulations à dos de mulet et auto je gagne un poste de secours où je suis repansé et reçois une injection antitétanique, ensuite, en auto, Krüt, Wesserling, Bussang où je reste 2 jours, puis Remiremont.

Je suis dans un hôpital civile, je suis seul officier et par conséquent seul dans une grande chambre avec à ma disposition 1 infirmier et 2 bonnes soeurs. Elles sont très gentilles mais j'aurais préféré 2 charmantes infirmières. L'on me fait un repas spécial et je couche dans un lit où j'enfonce, cela me change avec le sol rocailleux des hauteurs des Vosges. Je ne suis pas mal, ayant quelques livres à ma disposition. J'ai les cheveux ras et je suis laid à faire peur.
Un de mes amis, le petit Wolf a sa famille à Remiremont, je suis donc cet après midi allé voir sa mère qui m'a reçu très aimablement, et m'a invité à déjeuner demain dimanche. Elle se charge de me faire voir toutes les beauté de la ville.

Peu de jours après, je suis évacué à Montpellier, où je vais pour un séjour de 3 semaines, avant un mois de convalescence.
J'apprends en arrivant à Paris, ma citation à l'ordre de la division ainsi conçue :

"- Extrait de l'ordre de la Division N° 268." du17-9-15.


Le sous-Lieutenant Drouet, Paul - André, du 152 ème Régiment d'infanterie a brillamment enlevé sa section à l'attaque des tranchées ennemies le 17 août 1915 . Contre attaqué a résisté énergiquement. A été blessé au cours de l'action.

Signé: Seret
Général de la 66ème division

Le deuxième acte n'a pas été long, il faut maintenant rejoindre le 152 en Alsace..

Paris le 13/10/15

P-A Drouet

http://vestiges.1914.1918.free.fr/Alsace.htm


Fin du récit original.

D'aprés ses états de services, il effectue un stage au Génie en novembre 1915 et rejoint le 152 RI le 16 décembre 1915.
Paul-André n'a pas de chance, il est à nouveau blessé le 21 décembre 1915 au cours de combat à l'Hartmanwillerkopf par un éclat d'obus dans la région interfessière, qui lui vaut une nouvelle citation :

Ordre de l'Armée N° 272 10e A du 3 juin 1917.

...officier ayant une haute idée de son devoir . Versé pour une attaque importante de son corps à la tête d'une section du Génie a pris le 21-12-15 une large part à l'enlèvement des positions allemandes de l'Hartmanwillerkopf. A été blessé au cours de l'action.

Après guérison, il rentre au dépôt de Langres le 10 mars 1916 où la malchance le poursuit, car étant en service commandé il est à nouveau blessé par l'explosion d'une mine le 31 juillet 1916.( contusions graves de la face et des yeux, commotion cérébrale intense et hémorragie sous conjonctivale)
Il rejoint le front le 10 février 1917 et passe au 100e RI le 12 mars 1917.

 

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