- Certificat de blessure -

Document établi à la demande du Capitaine Major Petit .

 

Lettre du Capitaine Georges Petit à ses camarades du camp de Szczuczyn.

Lazarett 126. Grodno le 16 juillet 1916.

Mes Chers Camarades. Salmon et Chéron.

Je suis forcé de recourir à l'obligeance de mon Compagnon d'infortune, pour répondre à votre lettre du 8 juillet, mon état de faiblesse ne me permettant pas d'aligner trois mots successifs. Dans mon malheur j'ai eu la bonne fortune de rencontrer ici quelques Français dévoués et parmi eux tout particulièrement, le caporal Paul Ducoulombier du 1er Territorial qui est un homme de mon âge, et qui est pour moi, un Tourquinnois et qui est établi industriel ; à toutes ces affinités Paul D. joint un coeur excellent et un dévouement dont les preuves se multiplient. Cela était d'autant plus précieux que quoique l'on vous en ai dit j'ai été extrêmement malade et il n'y a guère qu'un jour ou deux que la situation s'est un peu amélioré. Grâce à la clairvoyance, le sang froid de nos camarades de Szczuczyn, je puis dire qu'ils m'ont sauvé la vie le 23 juin, témoignez leurs-en je vous prie, et prenez en votre part toute ma reconnaissance.

Le voyage en auto s'est relativement bien passé à part quelques secousses un peu fortes. A moitié route nous avons pris un soldat allemand blessé, enfin je suis arrivé vers huit heures dans ce lazaret pour hommes de troupes (russes et français); après m'avoir fait passer au bain (quel bain...) et aussi à l'épouillement, à la recherche des puces, l'on m'a conduit revêtir du linge de l'hôpital dans une cellule où j'ai passé une assez mauvaise nuit.

Le lendemain je suis allé à la salle d'opération où le chirurgien qui est un homme extrêmement habile et fort consciencieux a recousu la plaie fait la ligature de la veine, mis des agrafes sur l'os qui était entamé; cette opération s'est faite presque sans douleurs grâce à l'insensibilisation partielle.
Le docteur m'a dit ensuite si la hache n'était pas sale l'on peut espérer qu'il n'y aura pas d'infection et cela ira vite et bien, je vous dirais cela demain. Mais malheureusement dans l'après midi, une fièvre assez forte symptôme d'infection s'est déclarée, le lendemain en effet à l'heure du pansement, l'infection était constatée, il a fallut enlever toutes les agrafes, et ce sans insensibilisation impossible parait-il, j'ai subi là un supplice de 40 minutes inimaginable, que vous dire de plus, depuis ce temps là, la fièvre ne m'a pour ainsi dire pas quitter, sauf depuis deux ou trois jours où cela va un peu mieux. J'ai eu des soirées où j'ai bien cru que j'allais mourir, où je délirais, la température atteignait 40°5, en outre les pansements journaliers j'ai eu à subir toute une série d'opérations, incision de 5 à 6 cms dans le tendron, écartement des os du pied et toutes celles pour lesquelles je n'ai pas eu de détails, j'ai eu ma jambe dans du plâtre pendant 8 jours mais seulement jusqu'à la cheville, en sorte que je ne coupais pas au pansement pour le reste du pied, j'ai été endormi à l'éther 4 ou 5 fois, enfin mon pied est tailladé de tous les cotés à droite autant qu'à gauche, par derrière également et j'ai la jambe bandée jusqu'au haut de la cuisse; le tout est dans une gouttière. Mon chirurgien est parti avant hier pour 3 semaines de vacances, et avant de partir il a tenu à me faire un dernier pansement et après il m'annonçait que la crainte de me couper la jambe avait disparue, puisse-t-il dire vrai; je voudrais bien qu'il fut déjà rentrer, car bien que depuis deux jours je n'ai plus de fièvre pour ainsi dire, mes nuits sont toujours mauvaises et très agitées, et d'autre part je n'ai pas encore vu le nouveau docteur.

21 juillet 1916.
J'ai vu le nouveau docteur il est extrêmement bien, soigneux et doux, il m'a déjà fait 2 pansements sans douleurs, je n'ai plus de fièvre pour ainsi dire et l'amélioration dans l'état général que je signalai ci-dessus parait s'accentuer. Le nouveau docteur m'a dit que je pourrais me lever dans 3 mois, je veux croire qu'il a voulu dire que je pourrais marcher dans 3 mois, si évidemment aucune complication nouvelle ne se manifeste.

Comme vous le voyez il y a bien des chances pour que je ne revois plus mon Cher Camarade Chéron et la plus part de tous nos autres camarades, car je veux espérer que votre séjour dans ce pays perdu touche à sa fin, il n'y aura guère que Salmon que je pourrais revoir.
Je vais manquer de livres, puis-je vous demander s'il y en avait que tous les camarades aient lus, de bien vouloir me les envoyer; je prierai en même temps mon Camarade Salmon de joindre au paquet de livres ce que je lui ai remis et de bien ficeler le tout.

Je vous prie de bien vouloir me rappeler au souvenir de tous les Camarades et de me donner les noms des deux nouveaux représailles, dites leur en tous cas que je suis très heureux d'avoir été désigné dans ce groupe et que je conserverai des quelques jours passés en commun le souvenir le plus ineffaçable.

Quand à vous mon vieil ami Chéron ce me fût une grande joie, lorsque je vous retrouvais à Neisse, et j'escomptais passer avec le vieux Camarade de tant de combats communs quelques moments d'intimité qui font époque dans une existence? le sort ne l'a pas voulu mais néanmoins quand nous nous retrouverons, la tourmente passée, nous évoquerons sans doute l'un et l'autre avec une émotion infinie les heures pénibles passées en commun loin de la Famille et de la Patrie en cet obscur village de Pologne, où notre amitié s'est considérablement resserrée d'un sort commun partagé et de la confirmation sinon de la découverte de tant de sentiments communs.
Mais peut-être vous reverrais-je ; chaque jour le temps passe, et qui sait, bien que ma guérison soit lointaine, si elle ne sera pas complète avant notre départ.

Pour vous mon excellent et brave Camarade Salmon, je ne veux pas dire ici toute l'amitié sérieuse et solide que j'ai pour vous et toute ma reconnaissance pour la bonne et fidèle amitié dont vous m'avez donné tant de preuves; nous nous retrouverons à Cüstrin et nous éprouverons ce jour là en nous serrant la main une émotion plus démonstrative que quoique ce soit. encore une fois rappelez-moi au souvenir de tous les camarades, dont je ne veux pas citer tous les noms de crainte d'en oublier, mais présentez pourtant je vous prie mes hommages tout particuliers à Mr. le Colonel Frojo, et à Mr. le Colonel Ténévion dont j'ai partagé le sort depuis presque deux ans. Et en terminant je vous serre tous les deux dans une étreinte particulièrement cordiale et fraternelle.

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