- Acte d'accusation -

Traduction

N° 4719                                                                                                   Ingolstadt le 14 mai 1917
Suppléant du Tribunal
IIe Brigade d'Infanterie.

 Décret.

Contre les prisonniers de guerre officiers du camp de prisonniers d'Ingolstadt, fort 9.

               1°) - L'aspirant Officier français, Charles de Mangon du 26e régiment des dragons.
               2°) - Le Capitaine français, Marcel Bogino de St. Maurice du 405e régiment d'infanterie de marine.
               3°) - Le Capitaine russe, Sergei Tscherniwetzki, état major de la 53e direction.
               4°) - Le Lieutenant russe, Michael Touchkatchewsky, 2e régiment d'infanterie.

Il est fait accusation contre ces prisonniers suffisamment suspects de :

               a) - l'accusé aspirant officier français Charles de Mangon,
         1°) - a explicitement refusé d'obéir à un ordre,
         2°) - a manqué de respect à un supérieur,
         3°) - a insulté un supérieur.

               b) - Les accusés Capitaine français, Marcel Bogino de St. Maurice
                   et le Capitaine russe, Tscherniwetzki Sergei,ont au cours d'une action de service
manqué de respect à un supérieur.

               c) - l'accusé Michael Touchkatchewsky :
      1°) - au cours d'une action de service a insulté un supérieur et refusé d'obéir.
      2°) - puis à nouveau, après répétition de l'ordre donné a manqué de respect à un supérieur.

Par rapport à a :
         1°) - Le 19 avril 1917 vers 15h30, le commandant des camps de prisonniers d'Ingolstadt, le Major Général Peter à visité le camp du fort IX. A son arrivée, il a remarqué que 2 officiers prisonniers l'évitaient pour ne pas avoir à le saluer, il les a suivi. Les 2 accusés, le Capitaine, Marcel Bogino de St. Maurice et l'aspirant officier Charles de Mangon, avaient rejoint un groupe d'officiers avec lesquels ils discutaient.Le Général Major Peter a fait appel à un interprète comme médiateur pour demander aux officiers s'ils ne savaient pas qui il était et que étant prisonniers ils devaient le saluer comme tout supérieur. De Mangon répliqua sur un ton moqueur :« Ah bon c'est un général, je ne le savais pas, d'ailleurs, je suis un officier français et ceci est un officier allemand en l'occurrence mon ennemi et non mon supérieur. Je ne le salue pas ».

    2° ) - De Mangon avait gardé pendant sa réponse les mains dans les poches.

    3° ) - Le Général Major Peter lui demande si sa position serait la même envers un général français. De Mangon répondit : « C'est tout à fait autre chose, un général français n'a rien à voir avec un général allemand. D'ailleurs le caporal avait bien ses mains dans les poches en s'adressant à moi. Les allemands nous traitent comme des chiens et non comme des officiers, en conséquence ils ne peuvent exiger que nous nous comportions différemment envers eux. Monsieur le Général est mon ennemi et non mon supérieur.» Quand le Général Major Peter lui annonça qu'il aurait une punition sévère, il répondit avec un sourire moqueur : «merci».

Par rapport à b :
    - Alors le Général Major Peter fit demander à l'accusé Bogino de St. Maurice pourquoi il ne l'avait pas salué. Celui-ci répondit : « je ne connais aucun général, j'ai bien adressé à plusieurs reprise au Général Peter des réclamations mais elles ont toujours été renvoyées car sans fondement ».

Par rapport à c:
     1° ) - Quand le Général Major Peter s'est déplacé vers le bureau les 2 accusés Tscherniwetzki et Touchkatchewsky le croisèrent sans le saluer et quand il les appela ils firent semblant de ne pas l'entendre et continuèrent leur promenade. Le Général Major Peter les fit appeler par le soldat Ohlsen et les interrogea pour savoir s'ils ne le connaissaient pas; ils répondirent sur un ton moqueur et provoquant : « Ça c'est un général, mais que veux ce général ? »

      2° ) - Comme Touchkatchewsky gardait les mains dans ses poches le Général Peter lui ordonna de les en sortir et lui demanda si en Russie il se comportait de la même manière avec un supérieur. Touchkatchewsky refusa de prendre une autre position et demanda ce que le Général Peter lui reprochait, disant que devant un général russe il se comporterait naturellement différemment mais devant un officier allemand il ne voyait pas la nécessité de modifier son attitude. Quand le Général Major Peter lui expliqua que son comportement était un refus d'obéissance qui pouvait lui coûter cher, Touchkatchewsky répondit : « Ça coûte combien, 0 ou 10000 ou 2.000 marks, ça m'est égal ». Le Général Major Peter ordonna encore une fois sur un ton très sévère de sortir les mains de ses poches mais Touchkatchewsky répliqua : « non, le général disait déjà que ça me coûterait très cher, ça peut donc très bien continuer ». ( Voir plus loin, la version des robinsons de la Bavière)

 Par rapport à b :
- Le Général Major Peter demande à l'accusé capitaine Tscherniwetzki pourquoi il ne le saluait pas, il répondit que l'on se comportait avec eux d'une manière odieuse et qu'on les insultait, son comportement en était la conséquence. Le Général Major Peter lui ordonna de se tenir comme il faut mais le capitaine Tscherniwetzki n'obéit pas à l'ordre.

Ces actions justifient à a :

    1°) - un délit de désobéissance aggravée d'après les § 92, 94 et 158 MSTGB.
    2°) - un délit de manque de respect d'après les § 89 et 158 MSTGB.
    3°) - un délit d'insulte à un supérieur d'après les § 91, 158 MSTGB et § 485 RSTGB.

   Ces actions justifient à - b :
- Contre les accusés Capitaine Bogino de St. Maurice et Capitaine Tscherniwetzki, chacun le délit de manque de respect d'après les § 89, 158 MSTGB.

  Ces actions justifient à - c :
     1°) - un délit d'insulte à un supérieur § 91, 158, MSTGB et § 185 RSTGB.
     2°) - un délit de désobéissance aggravée avec insistance dans la désobéissance en uniton avec l'insulte au supérieur en référance aux § 91, 92, 94, 158 MSTGB et 75, 185 RSTGB.

         Le jugement doit être rendu par un tribunal de guerre composé de 2 conseillers du tribunal.

Signé :

Général Lechner,             Général Rechenauer
           Général major                 Conseillé du tribunal de guerre 

Certifié conforme et sincère, à Ingolstadt le 15-5-17
                                                                                                                   Général Rechenauer

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A la suite de cet acte

                                                  Ingolstadt le 15 mai 1917.  

               Acte d'accusation :

du conseiller du Tribunal de guerre Rechenauer dans l'instruction de
l'affaire des officiers prisonniers de guerre
1°) - Capitaine français Bogino de st. Maurice, Marcel, 405e régiment
      d'infenterie de marine
2°) - Aspirant officier françaisde Dangon, Charles, 26e régiment de dragons
3°) - Capitaine russeTscherniwetzky, Sergei, état major de la 53 e division
4°) - Lieutenant russe Touchkatchewsky, Michael, 2e régiment d'infenterie du
     camp de prisonniers d'Ingolstadt, Fort 9
     pour cause de refus d'obéissance entre autre.

I . Preuves.

Fiches de renseignements

Témoins : Général Major Peter
                 Interprete Ohlsen
                 Réserviste Freundtich
                 Capitaine Kirchgrabuer, Cdt. du fort 9 du camp de prisonniers d'Ingolstadt.

II. Résultats de l'enquête.

 Il est fait référence au cours du délit apparaissant dans le décret d'accusation.
Les accusés reconnaissent les faits dans leur ensemble et sont de plus
confondus par les témoins.

 Je soussigné


 Conseiller du Tribunal de guerre certifie l'exactitude de la copie,
                                    à Ingolstadt le 15 mai 1917.

                                                              Pechenauer

                Conseiller Tribunal de guerre.

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NDLR : Ultérieurment, le Capitaine Bogino de St. Maurice, s'évadera et sera abattu au moment de sa capture.
Le Lieutenant russe, Michael Touchkatchewsky, réussira à rentrer en Russie. En 1919, au cours de la guerre opposant la Russie à la Pologne, il aura en face de lui le Gl. de Gaulle, envoyé comme conseillé militaire auprès de l'armée polonaise. Il participera à l'organisation de l'armée russe au cours de la dernière Guerre 39-40.
Il sera général à 40 ans et fusillé à 43 ans, sur ordre de Staline à qui il commençait à faire de l'ombre.
  
L'évènement qui fut à la base de cette accusation, est racontée dans "Les robinsons de la Bavière", avec un passage plus pimenté et la caricature ci-contre:

Le général Peter, commandant le camp de prisonniers d'ingolstadt, se trouvait un jour au fort IX ; un officier russe (vraissemblablement : Touchkatchewsky), le regardait les mains   dans les poches, la cigarette aux lèvres.

-«Vous ne me saluez pas ?»... interogea le général.
- «Non».
-«Je suis général allemand, cependant », dit Peter en se rengorgeant.
Le russe ne se démonta pas.
- «Général allemand, oui », riposta-t-il, «mais vous n'êtes pas beau ; le dernier des poilus est mieux que vous...»
-«Je crois que vous voulez vous payer ma tête ? »Reprit le général.
- «C'est combien de marks ?... » demanda notre camarade.
 
Et Peter battu, n'insista pas. L'officier russe eut 8 jours d'arrêt.

 

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Liste de condamnations et motifs .

On y remarque les Capitaines De Gaulle et Salmon.

Liste des documents